Maintenant que la folie des Oscars est passée, les cinéphiles du Monde entier sont heureux de pouvoir enfin reparler de cinéma. Si l’Oscar du meilleur film en langue étrangère a cette année été remporté par le film hongrois Le Fils De Saul de László NEMES – qui s’est également illustré au dernier Festival de Cannes en remportant le Grand Prix – il ne faut pas oublier que cette catégorie, aussi clivante soit-elle – le cinéma américain contre le cinéma "étranger" étant un schisme discutable – est chaque année l’occasion de découvrir un tant soit peu le cinéma du Monde, chaque pays envoyant son film émissaire avec la lourde tâche de représenter son cinéma national.
Cette année, c’est le film 100 Yen Love de Masaharu TAKE qui avait été envoyé à l’Académie des Oscars pour représenter le Japon, sans toutefois passer les sélections. Diffusé sur nos écrans français à l’occasion du Festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo et récoltant une mention spéciale du jury pour la performance de son actrice principale, 100 Yen Love a de quoi se consoler en traçant sa petite route vers le succès.
Sorti à la fin de l’année 2014 et occupant les écrans japonais pendant plusieurs mois, 100 Yen Love est le gros film de l’an dernier aux côtés de Kabukichō Love Hotel de Ryūichi HIROKI. Véritable outsider devenu représentant du Japon aux Oscars, le film de Masaharu TAKE est l’histoire d’une réussite, à l’instar de celle qu’il présente dans son scénario.
100 Yen Love nous raconte l’histoire d’Ichiko, une femme de 32 ans résidant encore au domicile familial et passant son temps à se goinfrer de chips et de soda en jouant aux jeux vidéos. Quittant son petit confort après une dispute avec sa sœur, Ichiko est contrainte de changer de mode de vie ; elle trouve un emploi de nuit dans une supérette "tout à 100 yen" et rencontre un boxeur dépressif sur le retour qui va la pousser à elle-même enfiler les gants pour prendre sa revanche sur la vie.
Ce scénario pour le moins classique d’une success story à la Rocky a été écrit par Shin ADACHI et a remporté le Grand prix du scénario au Festival de Shunan ainsi que le titre de scénario de l’année aux Nippon Akademī-shō – équivalent japonais des Oscars américains ou des Césars français – en 2016.
Malgré tous ces prix, il est difficile d’encenser 100 Yen Love pour la qualité de son scénario, ce dernier ne reprenant que les canons des success stories qui peuplent le cinéma américain depuis l’âge d’or d’Hollywood. Cependant, on peut être certain que le genre ne s’essoufflera jamais tant il est intergénérationnel et communicatif. Dans sa présentation du film à l’occasion du Festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo, le réalisateur Masaharu TAKE confie que les spectateurs japonais ressentaient à la sortie du film comme une envie irrépressible de rentrer chez eux en courant, possédés par l’énergie du long-métrage. Si l’annonce est un peu présomptueuse, elle exprime bien l’efficacité du genre sur le public.
En plus du titre de scénario de l’année 2016 aux Nippon Akademī-shō, c’est surtout le titre de meilleure actrice principale remporté par Sakura ANDO lors de la même cérémonie qui mérite d’être souligné. Sakura ANDO est une excellente actrice et ce n’est plus à prouver, même si la jeune femme ne cesse de nous le rappeler à chacune de ses apparitions à l’écran. Depuis sa toute première apparition, dans l’incroyable fresque Love Exposure de Sion SONO, qui lui vaudra notamment le prix du meilleur second rôle au Festival de Yokohama, Sakura ANDO n’a cessé de multiplier les rôles exigeants avec prestance, passant habilement entre les mains de Takashi MIIKE, de Ryūichi HIROKI ou de Kiyoshi KUROSAWA, pour une performance une fois de plus remarquée dans la série télévisée Shokuzai.
Si Sakura ANDO est définitivement la nouvelle it girl du cinéma japonais, elle n’est pas (encore) tombée dans les affres de la célébrité et continue à appréhender ses rôles avec exigence. Dans 100 Yen Love, l’actrice n’hésite pas à donner de sa personne et à s’imposer des évolutions physiques drastiques pour être au plus près de son personnage, passant des formes rondes d’une jeune femme oisive se nourrissant de fast-food et de snacks à la silhouette musculeuse de la boxeuse que devient son personnage. Elle-même ancienne boxeuse, ANDO apporte en plus de ses talents d’actrices une énergie débordante qui porte le long-métrage et permet d’oublier les lacunes de ce dernier.
Car malheureusement, 100 Yen Love n’est pas vraiment à la hauteur de ses promesses. À vrai dire, c’est même plutôt l’inverse ; le film est exactement ce que l’on attend de lui, rien de plus. Si c’était un film américain, on le qualifierai sans hésiter d’"appât à Oscar", selon l’expression consacrée dans le jargon cinématographique. Il n’y a aucune question à se poser sur la raison pour laquelle le film de Masaharu TAKE a été choisi pour représenter le Japon pour la compétition de l’Académie tant il répond aux codes des films présentés lors de la cérémonie ; film social au scénario convenu et empreint de bons sentiments porté par un rôle à performance. Il est de ce fait parfaitement compréhensible que le film fasse des émules. Comme évoqué plus haut, ce type de film est tellement communicatif qu’il trouvera toujours un public. Mais en grattant légèrement le vernis de la performance de Sakura ANDO, on découvre vite la supercherie. Au-delà du scénario convenu, la mise en scène est terne et ne sert que de support pour que l’actrice puisse exprimer son talent. Si une autre actrice moins talentueuse qu’ANDO avait écopé du rôle, le film aurait été un affreux fiasco que rien dans le métrage n’aurait pu sauver.
Mais Masaharu TAKE n’est pas un mauvais bougre et est bien éloigné des réalisateurs qui produisent à la chaîne dramas et comédies pleines aux as qui envahissent les écrans japonais. TAKE vient du cinéma indépendant et son 100 Yen Love n’est pas une machine à fric ; le film est très honnête et ne cherche pas à faire de démonstration ou à engendrer des millions. On peut d’ailleurs s’estimer heureux que le film rencontre un tel succès tant il est qualitativement supérieur à de nombreuses productions commerciales. Mais c’est un film léger, tant dans ses aspirations que dans son contenu. On y trouve de l’émotion, de l’humour et du drame, sans plus. TAKE n’essaie pas de flouer le spectateur, mais force est de constater qu’il joue malheureusement avec des codes un peu éculés.
Porté par la seule performance de son actrice principale, 100 Yen Love n’est pas un mauvais film, mais il s’oublie malheureusement aussi vite qu’il se regarde. Cela dit, Masaharu TAKE étant désormais sous le feu des projecteurs et Sakura ANDO ayant atteint un nouveau palier dans sa carrière, le plus intéressant est probablement à venir et le réalisateur et l’actrice sont désormais des personnalités à suivre de près dans le monde du cinéma japonais.
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