Outre l’omniprésence de la voix off (celle de David Gulpilil, célèbre pour avoir joué dans Walkabout) qui par son humour continu, sa précision descriptive et la portée poétique des mots qu’elle contient évoque celle d’un autre docu-fiction, le merveilleux Endless summer, de Bruce Brown, Ten Canoes surprend par la densité de son récit et l’impact de son déploiement en deux temporalités sur sa dimension plastique : La photo du Northern Territory, en couleurs (la légende) comme en noir et blanc (le présent) est absolument sidérante de beauté.
Lors d’une expédition dans les marécages, un vieux chasseur conte à son frère une histoire ancestrale se déroulant pendant l’âge de pierre, peu après le Déluge. Une histoire d’hommes aux multiples épouses, convoitées par d’autres hommes du groupe, avec l’ombre d’un étranger ici, l’apparition d’un sorcier là, une romance contrariée et un mystérieux enlèvement, mais aussi une propension à parler beaucoup de leur queue, en plus de se goinfrer de miel et de fantasmer sur des affrontements avec une tribu aborigène rivale.
Si ce film vagabond se perd dans sa multiplicité, s’il est parfois confus, redondant, beaucoup trop bavard et peut-être un poil complaisant dans son dispositif ironique, il n’en demeure pas moins un superbe document (aussi fictionnel puisse-t-il être) ethnographique sur le quotidien et les techniques (fabrication de pirogues d’écorce, collecte de miel, chasse au gibier à la sagaie) de cet univers ancestral. Et puis on s’y perd agréablement car il y a de l’enchantement, de la candeur et une volonté de filmer la beauté de la brousse et de nous y convier.