10e chambre - Instants d'audience par Gérard Rocher La Fête de l'Art
Nous voici dans la salle d'audience d'un tribunal à l'aspect solennel et au parquet bien ciré. La Présidente fait son entrée et le défilé des prévenus va pouvoir commencer. Les voici donc ces femmes et ces hommes penauds, fiers, arrogants ou mortifiés, expliquant les faits à leurs manières. Certains s'embrouillent, se montrent mielleux, mentent souvent maladroitement, soutiennent l'impossible ou sont de mauvaise foi. Beaucoup de ces prévenus sont défendus à grand peine par des avocats dont certains sont adeptes des grands effets de manches. D'autres, par contre, par leur inexpérience le plus souvent, ont bien du mal à cerner de près leur sujet.Il se fait tard, et dans la nuit, les audiences continuent à la chaîne. La Présidente exténuée, poursuit sans relâche à redire ses verdicts pour des personnages qui parfois trouvent le moyen de nous faire sourire par leurs propos maladroits.
C'est un formidable documentaire que nous offre Raymond Depardon. En effet, en 2003, le réalisateur a obtenu une autorisation exceptionnelle afin de pouvoir filmer des audiences de la 10 ème Chambre Correctionnelle de Paris. Cette primeur est du jamais vu depuis le procès Dominici. Douze audiences ont été sélectionnées et le résultat est saisissant. En effet nous découvrons tout le panel de notre société : le pauvre type, le roublard , le déjanté , le violent , le petit caïd de banlieue... Tout y passe dans les délits mineurs : petits trafics, excès de vitesse, conduite en état d'ivresse, vols, violences. A travers ces personnages, dont beaucoup sont pathétiques à titres divers, nous assistons aux conséquences des inégalités touchant notre société . Pour les plus en difficultés, malgré les sourires que déclenchent leurs propos naïfs et maladroits, on a le sentiment que pour eux, tout est presque irrémédiable. Leur vie est déjà tracée, rongés par le cancer de la précarité avec ses conséquences irrémédiables: le manque de repères le chômage et la galère. La bonne volonté , la psychologie et la patience de la Présidente du Tribunal n'y peuvent rien malgré ses propos souvent rassurants et les jugements qu'elle humanise au maximum. Pour d'autres, à la vie plus facile, l'attitude n'est pas la même. Ils plastronnent, se croient intouchables et par leur sûreté naturelle et leurs bravades, sont persuadés pouvoir se défendre seuls ou certains de pouvoir berner le Tribunal qu'ils croient à leur merci. C'est dans ces moments difficiles que l'on perçoit l'agacement, voire la révolte intérieure de la Présidente.
L'autre volet de ce film est bien sûr le manque évident de moyens des tribunaux face au déferlement des prévenus. Les audiences se déroulent sans discontinuer toute la journée et une partie de la nuit. Il en découle pour les juges un risque d'erreurs compte tenu du nombre d'heures effectuées. Les avocats, commis d'office et de qualités inégales, sont saisis à la hâte des dossiers et ceux-ci sont étudiés sans grande précision par faute de temps et de motivation en de telles conditions. De ce fait certains, dans leur plaidoirie, manquent de réelle crédibilité devant la Cour. Sur les douze cas en présence, on est en droit de se demander si, pour certains, un règlement à l'amiable n'eut pas été préférable.
Une nouvelle fois, Raymond Depardon nous offre une oeuvre utile, impartiale et instructive. Elle nous ouvre les yeux sur les conditions de travail de notre justice si facilement décriée. Elle nous dépeint également notre société de plus en plus en perdition et nous prouve que ce ne sont pas forcément les plus démunis qui manquent de repères. En tous cas, les deux caméras disposées dans la salle ont superbement bien travaillé. Il faut absolument voir ce film pour avoir une vue objective sur l'un des grands sujets de discussion de notre époque.
EXTRAIT DU FILM :
http://www.youtube.com/watch?v=_vBFTt13mdw