Jerzy Skolimovski est un cinéaste audacieux. C'est une grande qualité qui peut aussi s'avérer être un défaut. Ce qui explique la carrière en dents de scie de ce réalisateur adroit et très souvent inspiré, ami de Vaclav Havel, Roman Polanski et d'Andrzej Wajda. Son caractère bien trempé fait qu'il a très vite déserté son pays et les affres du régime communiste polonais, pour devenir un réalisateur du monde. Après quelques oeuvres majeures ("Le départ", "Deep end", "Travail au noir" "Le bateau phare") il met un terme à sa carrière, sa vision artistique est en total décalage avec le milieu cinématographique. Avant de revenir derrière la caméra pour un "Essentiel Killing" des plus abouti puis à nouveau plus rien jusqu'à ce "11 minutes"
Mais qu'est-ce qui a pu pousser ce grand bonhomme de 79 ans à vouloir réalisé un film, d'un genre qui a fait les beaux jours des années 2000, le film choral ? L'audace ! Elle se porte à deux niveaux, d'abord donner à l'exercice le meilleur film qui soit, le plus abouti techniquement, narrativement et visuellement. Ensuite comme une espèce de challenge personnel, et pour répondre à son éternel besoin d'exigence de réussir le film tel que prévu par lui à l'origine, dans toute sa complexité et sa virtuosité. Point d'orgueil à cela juste un challenge vivifiant pour un réalisateur passionné de cinéma et de récits sophistiqués.
Reconnaissons-le, l'exercice est totalement réussi sur les deux niveaux. Pas une faille s'immisce sur ce tempo de 11 minutes que vont vivre en se croisant un certain nombre de personnages. L'unité de lieu, de temps et d'espace, sont totalement respectées, imaginées pour que l'ensemble fonctionne. Dès le prologue, s'installe une tension qui monte crescendo et provoque des sueurs froides. Skolimovski ne nous laisse guère le temps de respirer, juste assez pour que le cerveau puisse recomposer le puzzle de cette séquence courte. Il nous embarque avec force dans les méandres de cette histoire impensable jusqu'à un final douloureux cruel auquel on ne peut s'attendre.
Techniquement parlant, c'est prodigieux. Le montage kaléidoscopique et la bande son associés dans la tension extrême, Skolimovski fait appel à nos propres angoisses (11 septembre, sécurisation outrée, caméras de surveillance à profusion...) et notre faculté d'imaginer le danger partout et à n'importe quel moment.
Aloes, on peut reprocher à "11 minutes" son côté un peu vain et facile, il est pourtant le fruit d'une paranoïa sociétale à laquelle chacun vient amener sa contribution, pouvant déclencher parfois une réaction en chaîne funeste. Bien sur nous sommes loin de l'oeuvre sociale et sombre de "Travail au noir", loin de l'onirisme salvateur du "Succès à tout prix" ou encore de la détresse brute d' "Essential killing". Mais c'est cela aussi le cinéma de Skolimovski, pluriel, inclassable, il réalise ironiquement ici un pied de nez au temps qui passe, tout en se rassurant. Son film est particulièrement bien construit, inventif et déroutant avec ses indices ésotériques, mais il est avant une sublime contribution à l'Entertainment.