120% des spectateurs sont passés à côté de ce film

Première scène : des activistes d'ACT UP palabrent dans un amphithéâtre (15 minutes). Cette première scène donne la tonalité du film, à savoir un enferment mental sous la forme cinématographique d'un huit clos interminable. En guise de synopsis, je dirai que la première partie du film est un docufiction qui nous livre une photographie intéressante de la gestion par les pouvoirs publics du VIH dans les années 90. Le film change de rythme dans sa seconde partie en se focalisant sur l'histoire d'amour entre deux militants gay au travers de la maladie et de la mort. Une lecture simpliste de ce film consiste à croire que réalisateur a souhaité nous documenter sur le sida des années 90 avec un focus sur le bras de fer entre Act UP et pouvoirs publics. En réalité, ce film parle bien sûr du sida mais surtout de la glauquitude du milieu homosexuel.


Refaisons le film : le réalisateur ne nous montre rien d'autre qu'un groupe de personnes assez vides dont la vie tourne et retourne autour de la maladie, du sexe, des boîtes, de la cigarette, du militantisme et de la violence. Avez-vous perçu une once d'émotion dans les rapports humains pendant 2H20 ? La relation entre Sean et son copain révèle à elle seule la pauvreté des sentiments et l'incapacité chronique de communiquer : on nous montre du sexe, du sexe et encore du sexe. Sean est gravement atteint pas le sida et qu'a son copain à lui offrir ? Une branlette sur un lit d'hôpital et une injection létale sans un seul mot pour l'accompagner. Peu de dialogue, beaucoup de silences, rien d'intéressant entre les deux personnages. L'humain dans ce film vient des femmes (Hélène et la mère de Sean) comme pour contrer le côté machiste que l'on peut rencontrer dans ce milieu homosexuel et surtout permettre au film de respirer. Car on étouffe : Après avoir mis le focus sur sur certaine stérilité émotionnelle, la claustrophobie d'accentue et le réalisateur dépeint un milieu gay obsessionnel, perdu voire tordu, un milieu dans lequel les rapports humains sont souvent troubles. En témoignent les nombreuses scènes en amphi qui montrent des gens qui ne sont d'accord sur rien, dont les discussions sont inutiles et s'étirent jusque tard dans la soirée. Les membres du groupe se trompent de cible et s'en prennent les uns aux autres comme Sean qui se met injustement en colère contre Hélène (il y a là une très bonne critique à l'encontre des milieux d'extrême gauche). On invite le PDG du groupe pharmaceutique dans l'amphi mais on ne le laisse pas parler et on l'insulte : quel est l'intérêt ? Sean et son copain se demandent à un moment ce que font les autres membres d'Act Up dans la vie : lui est brancardier, et lui ? Je ne sais pas (sous entendu : on s'en fout). Dans la scène qui suit : Sean a des mycoses dans la bouche ? C'est pas grave son copain l'embrasse ! "Je suis tordu et je le revendique"... Mais on touche les bas fond du glauque dans la scène finale: Sean meurt et son copain le trompe avec le mec que Sean détestait, comme pour souligner le côté tordu des relations amoureuses chez certaines personnes du milieu gay. Enfin, il y a la scène dans laquelle Sean est à l'hôpital : le militant a le moral au plus bas et la seule façon qu'a le couple pour communiquer passe par le sexe avec une scène complètement décalée pour ne pas dire déplacée dans laquelle le copain masturbe Sean sur son lit d'hôpital avant d'essuyer le sperme. J'entends des gens rire dans la salle, mais qu'y a t-il de drôle ? Je l'ignore et je me dis que les spectateurs sont aussi glauques que les personnages du film...


A la sortie du film, un silence de mort, pas de BO sur le générique de fin. 2H20 d'angoisse... Pour finir, s'il y a une scène qui résume à la perfection le film, c'est bien celle du militant à la toute fin qui propose un petit texte à destination de la presse suite à la mort de Sean. "Sean était un militant du groupe Act Up. Il défendait les putes, les toxico, les pédés..." Et la mère de Sean, tout gênée d'ajouter : "Il était courageux aussi. On devrait l'écrire". Voilà qui résume à merveille ce film : les femmes insufflent l'âme qui manque au milieu homosexuel..


Je mets une mauvaise note, non pas parce que le film est mauvais (c'est en réalité l'inverse) mais en prenant parti de ne pas être plus explicite, le réalisateur dupe les spectateurs qui croient voir un film sur le sida alors que la thématique de fond est à l'évidence une critique au vitriol du milieu gay parisien.

Sylvain2L
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le 5 sept. 2017

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