Il y a beaucoup de grâce dans ce film de Robin Campillo. Beaucoup d'intelligence aussi.
Oui, les acteurs jouent incroyablement juste et sont remarquablement dirigés.
Oui, il était nécessaire de revenir sur un moment de notre histoire moderne dont nous ne mesurions pas forcément - pour celles et ceux qui ne l'ont pas vécu ou étaient trop jeunes pour le comprendre - la gravité et les maux profonds de la société qu'il mettait en exergue.
Mais au-delà de ces évidences, le film est extrêmement efficace dans sa construction : Campillo balade son spectateur dans un récit bâti pour agir comme la maladie dont il parle : par désagrégation, par prises de conscience successives d'impuissance jusqu'à la solitude ultime.
D'abord figé sur cette joyeuse bande d'activistes d'act up Paris, 120 battements par minute instaure un climat de confiance et d'harmonie où tous se serrent les coudes contre l'ennemi commun. Le ton est souvent espiègle, presqu'insouciant et la communauté est globalement soudée et aucun personnage ne semble plus important qu'un autre. Le reste du monde n'est qu'évoqué, jamais montré. Tout comme le sida dont chacun parle mais n'est pas encore tout à fait visible.
A mesure que le récit avance, Campillo sort le spectateur de cette émulation illusoire en campant cette communauté face au monde réel. Acting dans un labo pharmaceutique, manifs, hôpitaux... Et chaque fois, en réponse à leur main tendue ou leur poing serré : l'absence de réponse, l'incompréhension, la violence, l'indifférence. L'impasse.
Le film montre admirablement ce délitement progressif. L'ambiance joviale de début de film apparait rapidement pour ce qu'elle est réellement : un leurre, une nécessité plus qu'une réalité. En attestent ces allers-retours successifs entre monde extérieur et vie de groupe, ces scènes de débat et de bars durant lesquels la communauté se retrouve pour y puiser l'énergie nécessaire d'y croire encore devant la réalité implacable, comme un nageur qui, entre 2 longues coulées sous l'eau, viendrait reprendre sa respiration en surface pour trouver la force d'avancer encore.
Petit à petit, le groupe cède la place aux histoires personnelles, les opinions divergentes se percutent au sein du groupe et la solitude des malades face à leur condamnation se fait plus palpable, comme un mode qui se débat dans un océan de vide autour d'eux.
J'ai eu l'impression de me noyer avec Sean, de ressentir dans ma chair le sentiment d'abandon et de renoncement face à une foule anonyme qui pourrait aider mais semble ne pas bouger, d'être le seul à entendre ce choc absurde et sourd entre sa fureur de vivre et le mur d'indifférence qui lui faisait face.
"Je suis désolé que ce soit tombé sur toi." lance Sean à Nathan, comme s'il avait toujours su qu'il y passerait et que ses amours, légères et nombreuses parce que condamnées, finiraient par désigner au hasard un compagnon de route pour son dernier voyage.
J'ai ressenti une haine viscérale envers cette société incapable de protéger ses éléments les plus vulnérables soit par incapacité à se mobiliser, soit par haine ou indifférence à leur égard. Cette société dans laquelle j'ai vécu enfant sans jamais comprendre quelles injustices atroces elle charriait en son sein et tout ce que cela traduisait de son état de santé moral.
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Parce qu'il montre aussi comment l'amour d'une ou quelques personnes peut changer la vie de celui ou celle injustement condamné,
""", ce film est d'une humanité absolument bouleversante.
Sans jamais tomber dans le pathos, il rappelle à quel point certains moments de notre histoire moderne n'ont rien à envier en terme de cruauté aux heures sombres de périodes qu'on a coutume d'imaginer comme bien plus barbares.
120 battements par minute est un film qui fait un bien fou (pas seulement au cinéma français, mais à ses spectateurs en général) tant il est un cri d'amour à la vie autant qu'il met en garde contre l'indifférence à la souffrance d'autrui.
Car s'ils sont nombreux ceux qui ont traversé ces années 90 sans se soucier du sort de ceux qui mourraient alors par milliers dans l'indifférence voire la complaisance générale, ce film parvient, en ravivant aujourd'hui le malaise et la honte qui auraient du prédominer à l'époque, à prouver que tout le mal qu'on peut laisser faire se paye un jour, fut-ce par les enfants des coupables.