J'avais vu le remake de Friedkin à la télé. Je m'en souviens car à l'époque, l'acteur qui me plaisait dedans c'était Tony Danza ("Who's the Boss"). Maintenant que ma culture cinématographique est un peu plus développée je pourrai ajouter Jack Lemmon, Georges C Scott, James Gandolfini et William Petersen. Enfin on n'est pas là pour parler du remake dont je n'ai aucun souvenir... Pour en revenir avec ce film de 1957, ce qui m'a étonné, c'est à quel point le système de la démocracie est étudié, mettant ainsi en avant ce qui en est à la fois l'avantage et l'inconvénient. Bien oui, l'avantage c'est de pouvoir remettre en question et éviter la mort d'un innocent. Mais l'inconvénient, c'est justement de pouvoir tout remettre en question, parfois pour pas grand chose, et risquer ainsi de laisser s'échapper un brigand. Je pense que Lumet en était conscient. Non pas qu'il soit antidémocrate, mais juste qu'il est bon de rappeler les forces et faiblesses de toutes choses. Après tout, ne dit on pas que connaître ses faiblesses est un avantage?
Au delà de cette interprétation toute personnelle par rapport aux valeurs morales du film, je trouve le scénario brillament écrit. En fait, tout le film repose dessus, ce qui est plutôt rare aujourd'hui. Les dialogues sont pointus, à double sens, ambigu comme il faut mais à titre volontaire : en gros le spectateur est manipulé de long en large. Ensuite la façon dont les personnages évoluent est également très bien amenée. L'auteur imagine même toutes les possibilités (personnage qui retourne sa veste sans conviction, ou bien l'autre trop influançable, etc.).
Puis il y a cette épuration impressionnante : le film se déroulant en huis clos, excluant ainsi tous les figurants, on a cette impression de tenir 12 personnages importants d'égale façon. C'est pourtant faux. Il est facile de trouver une dizaine de personnages principaux dans un film : le héros, la gonzesse, le gosse, quelques adjuvant, quelques opposants dont le chef des méchants... on y monte vite! Je ne veux pas dévaloriser ce travail d'écriture que j'admire beaucoup, bien au contraire ; je pense qu'il est vraiment remarquable d'arriver à tenir le spectateur en haleine sans justement user de l'illusion de la foule, du spectaculaire des paysages ou des scènes d'action. Ce récit est un des plus minimaliste que j'ai pu voir, au même titre que Gerry de Gus van Sant ; ce refus du détail insignifiant permet certainement de pouvoir entrer plus en profondeur dans la psyhocologie des personnages plutôt que de se perdre en platitudes.
Une des scènes les plus forte dans l'écriture, pour moi, c'est le combat argumenté pour convaincre le juré numéro 4. Le plaidoyer est magnifiquement écrit, même si évident, Lumet ne tombe pas dans la facilité de le raconter en pointant du doigt le fait grotesque comme le fait l'accusation justement, mais bien par divers arguments bien réfléchis (pour rappel il s'agit de convaincre que la femme n'a pas pu voir le meurtre aussi précisément qu'elle le prétend). Tout ça démontre à quel point l'écriture est parfaite: le scénariste joue avec la personnalité de son personnage pour retourner ses arguments contre lui.
Ceci dit, ce n'est pas parce que le scénario est ultra épuré que la mise en scène est des plus simples. Car le gros problème que le film posait (et c'est certainement pour ça que Friedkin a voulu faire le remake) c'est : comment placer sa caméra? Déjà filmer une conversation à trois, c'est à s'arracher les cheveux tant le problème du champs contre champs se complexifie. Mais à 12! La plupart du temps, les réalisateurs choisissent une table ronde , ça simplifie la donne (Tarantino l'a fait par exemple, mais beaucoup d'autres également) ; une table rectangulaire c'est déjà plus compliqué, surtout que forcément, on ne va pas les laisser assis pendant 90 minutes. Et pourtant, Sidney réussit à ne jamais perdre son spectateur durant le film : on sait constamment qui parle à qui juste avec le regard.
Puis le réalisateur a l'intelligence de choisir des acteurs suffisamment différents pour qu'on ne les confonde pas (ça paraît évident et pourtant...) sans pour autant sacrifier leur performance : chacun, du plus connu au moins connu, délivre une performance juste et cinématographique, je précise.
Pour piemnter le tout, le réalisateur ne se prive pas de mouvements caméra. Ca bouge plutôt bien même. A tel point que si le film avait été tourné en couleur, et avec des costumes plus actuels, on aurait pu penser à une oeuvre de nos jours d'aujourd'hui. Maintenant, si les mouvements de caméra sont nombreux, il sont rarement gratuits. Ainsi le dynamisme semblait ne pas suffire à Lumet qui utilise vraiment la caméra pour appuyer la psychologie des personnages et certaines phrases énoncées lors des joutes verbales. Enfin, le réalisateur se prive de musique, effet facile pour justement rendre une scène plus dynamique. Voire même toucher le spectateur : une scène qui m'a marqué et qui m'a même touché, c'est lorsque le juré numéro 3 (Lee J. Cobb) craque et se met à pleurer après avoir déchiré sa photo. En quelques plans sans musique, ni même sans dialogue, on comprend la brisure interne qui vient de se produire chez cet homme.
Bref, 12 Angry Men est un film remarquable sur tous les points que je recommande fortement. Malgré les préjugés que l'on pourrait avoir (noir et blanc, 1957, film de tribunal, huis clo) il s'agit là d'un divertissement efficace.