Il n’y a pas de doute valable, la justice, c’est Fonda mental !
Rendons à César ce qui appartient à César : c’est Fonda le coupable du crime. Comment comprendre qu’il soit seul à estimer le jeune potentiellement non-coupable, alors que tout le désigne ? La raison en est simple, c’est Fonda l’assassin, lui qui vient avec un exemplaire identique à l’arme du crime, alors que l’on pensait celle-ci très rare. Son mobile pour disculper celui que tout désignait ? Il a été tiré au sort, et ne peut accepter qu’on envoie à la mort un innocent. Peut-être même qu’il avait tué le père pour sauver le fils, peut-être même que c’était lui le vrai père, au fond, qui sait ? Il n’y a pas de coïncidence impossible, je pense qu’il y a un doute valable, Fonda est peut-être l’assassin !
Trêve de plaisanterie, on ne saura jamais si le jeune était coupable, et c’est là le point fort du film et du personnage incarné par Henry Fonda : cette capacité à instiller le doute là où tout n’était que certitude, celle de poser la question, indirectement, de la peine capitale. Car dans ce film, Lumet et Fonda font œuvre de maïeuticiens.
Certes, il y a un côté un peu artificiel dans le scenario, où tout n’est possible que parce que le procès a été bâclé avec un avocat commis d’office qui n’a manifestement pas fait le job comme il aurait dû… (mais c’est aussi une réalité, même dans les démocraties comme les Etats-Unis et la France, on ne peut le nier, bien qu’il faille le regretter). L’issue du film semble aussi un peu trop prévisible, je trouve, à partir du moment où les partisans de l’acquittement se font de plus en plus nombreux, il n’y a pas de réel rebondissement, le film avance sans grande surprise, c’en est presque trop facile.
La mise en scène de ce huis clos est toutefois excellente, et Lumet parvient très bien à nous tenir en haleine durant une heure et demie, bien que l’issue du film paraisse de plus en plus évidente. Il y a bien une ou deux scènes à la composition trop réglée, notamment celle où ils entrent dans la pièce, chacun ayant une attitude, un petit geste, un regard : tout est calculé, ça ne fait pas très naturel. Mais à quelques exceptions près, le film est remarquablement maîtrisé, avec une distribution extraordinaire, les douze jurés jouant quasiment tous de façon très juste. Les douze hommes sont très différents les uns des autres, avec des personnalités et des origines sociales variées, mais chacun joue un rôle dans l’avancée du débat, le scenario les fait intervenir de façon judicieusement millimétrée avec une précision digne d’une horloger.
Surtout, l’essentiel dans ce film est que la forme est au service du fond, Sidney Lumet mettant le doigt sur des questions absolument essentielles, comme celle de la responsabilité de la décision de justice, responsabilité d’autant plus forte dans un système judiciaire pratiquant la peine de mort. La question qui se pose aux jurés n’est pas ici de savoir si l’accusé est coupable ou non, mais si on a assez d’éléments pour être certain de ne pas envoyer un innocent sur la chaise électrique. Douze hommes en colère est donc un plaidoyer pour une justice fondée sur la certitude, constituant une critique forte de la peine capitale qui peut-être décidée pour des coupables mais aussi pour des innocents. Et cinquante ans plus tard, l’actualité donne raison à Lumet : de nombreux cas de condamnés à mort innocentés par la suite alors qu'ils étaient dans le couloir de la mort permettent aujourd’hui un lent mais régulier recul de la peine capitale aux Etats-Unis.
De façon plus générale, le film met aussi l’accent sur les phénomènes de groupe, sur la force, le poids mais aussi la versatilité de l’opinion dominante ; il aborde la question des limites de la justice et de ce qu’on appelle aujourd’hui la démocratie d’opinion, le poids des préjugés, et de notre habitus dirait Bourdieu.
Bref, un film magistral sur des questions essentielles, que je ne peux que recommander à tous ceux qui ne l’auraient pas encore vu.