On commence tous un jour quelque part. Pour Sidney Lumet, éminent cinéaste américain, ce fut en 1957 avec 12 Hommes en Colère, un film dont la réputation n’est plus à faire, au vu de son immense succès critique à l’époque, et encore aujourd’hui, où il est toujours considéré comme l’un des meilleurs films de l’histoire du cinéma. Une entrée en matière tonitruante qui annonce déjà une très grande carrière. Mais ne brûlons pas les étapes, et commençons par la première, qui mérite déjà largement qu’on s’y attarde.
Douze hommes, un seul décor dans lequel se déroule l’immense majorité du film, une décision à prendre. Pour son premier film, Sidney Lumet choisit un espace clôt, il enferme ses protagonistes dans un petit espace, comme des rats de laboratoire dont il étudie le comportement face à la situation à laquelle ils sont confrontés. Pourtant, malgré cet aspect très statique et renfermé, 12 Hommes en Colère fait la part belle au mouvement, ne laissant pas de temps mort et captivant le spectateur de bout en bout. Dès le début, Sidney Lumet nous gratifie d’un plan séquence modèle de plusieurs minutes permettant au spectateur de s’approprier l’espace, de parcourir la salle, de croiser chacun des douze protagonistes, et de commencer à dresser un portrait de chacun.
Car 12 Hommes en Colère, ce n’est pas simplement une restitution sur le système juridique américain, ou l’étude d’une affaire criminelle. Dans ce film, Sidney Lumet propose un microcosme varié où chaque personnage incarne une partie de la société, où les personnalités se confrontent puis s’associent, s’insultent puis se comprennent, pour être transcendées par un esprit de groupe qui les unit. L’approche de Lumet a ici quelque chose de très cartésien, dans le sens où elle se sert du doute pour construire la base de la réflexion. Dans la salle, ils sont onze à être persuadés de la culpabilité de l’accusé, pour des raisons très diverses, mais un choisit de plaider non-coupable, sur la seule motivation d’un doute raisonnable qui l’empêche d’affirmer avec certitude que le jeune homme est coupable et qu’il mérite d’être envoyé à la chais électrique sans plus de considération.
Le choix du juré n°8, brillamment campé par Henry Fonda, sert d’élément déclencheur pour dévoiler les caractéristiques et les convictions de chacun. Si les approches de chaque juré diffèrent par leurs motivations, il s’avère que le film s’attaque principalement aux certitudes, souvent motivées par des préjugés sociaux et ethniques, qui altèrent le jugement et évitent toute considération d’un doute raisonnable. D’un point de vue sociologique, 12 Hommes en Colère parvient donc à créer un tableau riche et exhaustif, mais il met également en lumière la force de conviction, la capacité à assumer son opinion et à rester fidèle à ses principes.
Il y a, bien sûr, un côté très politique dans cette démarche, mais cette dernière s’inscrit également dans un contexte plus philosophique. En effet, la couverture des préjugés sociaux et de leur remise en question cache, derrière, une représentation de notre capacité à pouvoir remettre en question le monde qui nous entoure. Car si tout paraît tangible et établi, si notre vécu a construit des fondations d’apparence inébranlables, la capacité à s’interroger, à chercher à comprendre et à se remettre en question est essentielle. Comme dit le fameux adage : « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis » .
Il va donc sans dire qu’avec ce premier film, Sidney Lumet fait des miracles et réussit un vrai coup de maître dans un véritable chef d’oeuvre cinématographique. Le premier visionnage fut concluant, le second ne fit que confirmer. Sur la forme, le cinéaste maîtrise l’espace, construit un récit intelligent et captivant, permet à chacun de ses acteurs, tous convaincants, de s’exprimer suffisamment pour alimenter le métrage et en faire, aujourd’hui encore, un classique incontestable du septième art.