Tout est affaire de frontières, de limites, dans ce nouveau long-métrage, saisissant, de Raymond Depardon :
- Le titre, d’emblée, rappelle la durée à ne pas dépasser pour qu’un juge auditionne une personne retenue dans un établissement psychiatrique contre son gré.
- Les premiers plans dressent les grillages, légers, presque jolis, blancs sur le fond gris d’un ciel d’orage, qui, aux abords de Lyon, cernent l’Hôpital Psychiatrique du Vinatier, le plus grand de France, et isolent cet espace du reste du monde, confinant ses patients, volontaires ou forcés, dans un authentique asile ; asile que cette enceinte, qui cherche à se faire passer pour légère, rapproche inévitablement d’une prison.
- Frontière du champ-contrechamp qui, créé par trois caméras permettant certains angles obliques, restitue dix entretiens entre autant de patients forcés et les juges qui, parachutés deux fois par semaine dans cet univers psychiatrique, auditionnent leur demande de liberté.
- Frontière entre ces dix hospitalisés sous contrainte et les quatre juges des libertés qui, après avoir décidé de la réponse apportée à leur demande, n’auront besoin de l’autorisation de personne pour rentrer chez eux.
- Frontière entre la raison, censée être incarnée par ces juges, et la folie supposée, plus ou moins marquée, plus ou moins criante, de ceux qui comparaissent devant eux...
Mais précisément, Raymond Depardon ne s’en tient pas à ces délimitations et se laisse encore moins encager par elles : le regard porté sur ces patients, plus ou moins éloignés, en eux-mêmes, de cette liberté qu’ils revendiquent, ne les enferme pas dans leur supposée folie. L’œil de la caméra les scrute, paisiblement, traque en eux les manifestations d’humanité qui soulignent leur proximité avec les spectateurs des salles obscures. Les argumentations fondées, les propos ajustés, sont précieusement recueillis, d’autant plus déchirants.
L’humour, malgré la gravité du sujet, n’est pas banni, que ce soit par le biais de la parole, dans le recueil d’un mot particulièrement saugrenu qui fait naître le sourire, ou par l’en-deçà de la parole. Ainsi, après l’un de ces glissements irréels dans les couloirs déserts de l’hôpital, la caméra s’approche d’une porte close, derrière laquelle se font entendre des cris particulièrement douloureux, cris qui semblent en susciter d’autres, émis par une autre voix, mais dont on ne saurait déterminer précisément la nature ou la finalité. Impression de se trouver l’oreille collée à l’une des portes de « L’Enfer » de Dante... La folie à l’état audible... Soudain, la caméra pivote très légèrement, remonte vers la droite, faisant apparaître une inscription passablement antiphrastique : « Salle d’apaisement » !...
Au sortir de la projection, le spectateur est habité, simultanément, par l’impression de s’être penché sur un gouffre, l’insondable de la folie, et par une forme d’inquiétude diffuse, causée par le fait d’avoir mesuré à quel point peut être mince, parfois, la limite qui sépare la raison de la folie.