New York, 1841. Salomun Northup est un violoniste, marié et père de trois enfants. Le flambeau de la statue de Bartholdi n'éclaire pas encore les émigrés en quête de liberté débarquant sur Ellis Island. Le soleil éclaire pourtant la vie de cet homme aimé et aimant, vivant de sa passion qu'est la musique. Salomun Northup est né libre mais il est noir. Par le hasard le plus malencontreux qui soit, un matin il se réveille enchaîné, presque nu, dans une cellule sombre et insalubre. Après une traversée périlleuse à bord d'un bateau à vapeur, il est débarqué avec d'autres noirs dans le port de la nouvelle Orléans. Acheté par un négrier il est d'abord vendu à un premier cultivateur. Suivent d'autres mésaventures, il sera alors revendu à un autre propriétaire d'esclaves, ce dernier est vil et cruel. Son calvaire durera douze ans.

Steve McQueen nous livre un troisième film nous prouvant une fois encore, son talent, à la fois d'artiste et de cinéaste engagé, tant sur le fond que la forme. Au travers du récit singulier d'un homme, Steve McQueen dépeint un drame humain de notre Histoire, une des pires barbaries et atrocités qu'a été l'esclavage.

C'est d'ailleurs la premier fait marquant de ce film. En nous présentant un homme né libre, puis asservi, le spectateur ne peut que se transposer dans l'histoire de Salomun, dans son récit présenté de façon clinique et glacant, par la réalité d'un quotidien infernal. Salomun, qui une fois vendu perd ce que l'Homme a de plus cher, sa liberté, sa dignité. En perdant même son propre nom, il perd sa propre existence. Nous sommes témoins de la barbarie la plus cruelle qu'a été la réalité de l'esclavage dans les plantations. D'ailleurs une fois au sud, l'éclat du soleil n’atteint plus le visage des hommes. Le soleil ne laisse alors que des rayures diffuses et informes, orangées et rougeâtres. Ces dernières n'arrivent pas à percer ces long ramages de barbes espagnoles; cette plante s'accrochant aux arbres comme des sangsues. Steve McQueen cherche peut-être à nous montrer qu'en ces lieux, le halo divin n'éclaire plus les âmes, laissées à l'ignominie, délaissées.

Cette terre de plantations est magistralement reconstruite par un réalisme presque oppressant. Nous ressentons les odeurs de sang, la force des coups de fouets flagellant la peau couleur d'ébène de Salomun et de ses condisciples d'infortune, la chaleur suffocante... La maltraitance, la barbarie la plus ignoble et ineffable nous sont ici présentées sans détour.

Une des scènes les plus insoutenables : un long plan séquence où une jeune esclave, pourtant travailleuse et méritante, mais victime de la folie de son maître, être perfide et alcoolique qui s'est entiché d'elle, est violemment fouettée, presque laissée pour morte, le dos mutilée, la chair à vif, attachée à un poteau. Le motif de cette acte atroce, une absence de quelques heures de Patsey (c'est le nom de la jeune fille) pour aller quérir un peu de savon, ne serait-ce que pour laver sa peau usée et poussiéreuse à défaut de purifier l'humiliation sexuelle qu'elle subit chaque nuit. Le maître, aussi cruel que lâche, laissera Salomun exercer sa volonté macabre sous le joug d'une arme. Cet acte de barbarie, ces coups de fouet, Salomun se les donna à lui-même également lorsqu'il mutilait cette pauvre jeune fille. La corde vif, les cordes trop serrées, son violon dans ses mains se brisa, l'âme mutilée, Salomun ne pouvait plus jouer.

Arrive ici le paroxysme de ce parallélisme brillamment exposé entre la corde de la barbarie, symbole de l'aliénation de ce peuple asservi, déporté et annihilé, et les cordes de l'instrument de Salomun. Dans son film sur l'histoire de Marin Marais, Alain Corneau, nous laissait entrevoir la transcendance des notes issues des frottements d'un archer sur ses cordes. Peut-être est-ce là la réponse de la non résiliation de Salomun face à la barbarie humaine ? Ayant reçu un violon de son premier maître, Salomun pouvait ainsi par son instrument, retrouver une part de sa dignité, la preuve qu'il était bien un Homme, toujours. Un homme qui part sa nature à vocation à trouver à travers l'art une élévation d'âme, une transcendance, la foi et l'espoir.

Hormis une seule prestation féminine (que l'on oublira facilement) douteuse, de par sa douleur peu crédible, de mère veuve de ses enfants laissés au gré de la dure loi du capitalisme esclavagiste, cette mise en scène implacable et brillante bien qu'académique, cette photographie presque historique par son réalisme et une bande originale signée par le grand Hans Zimmer, 12 years a Slave est porté par un casting incroyable dans son ensemble, d'une justesse rare.

Dans Shame, Steve McQueen nous présentait une autre aliénation, la dépendance sexuelle d'un homme. Cette contingence intérieure était dramatiquement illustrée, au premier sens du terme, sans vraiment au final une mise en perspective d'une guérison possible, d'un potentiel salut. Suis-je peut être trop adepte du cinéma de Terrence Malick ? Toutefois avec cette brillante contribution pour l'Histoire, Steve McQueen délivre un message universel et salutaire, adressé à la fois à la communauté afro-américaine mais aussi aux Etat-Unis pour qu'ils puissent enfin surmonter ce paradoxe qui continue toujours de les hanter : le mariage étrange entre le racisme et la liberté, sur lesquels le pays a été fondé.

Peu importe la courses aux Oscars, nous sommes bien au delà de ces récompenses partiales avec 12 years a slave.

"Un de mes amis est allé voir le film, raconte Steve McQueen. C'est un Blanc, et il y avait une femme noire à côté de lui qui avait la quarantaine. Le film commence. Et juste avant la fin, il sent une main prendre la sienne. C'était cette femme, ils se sont tenu la main jusqu'à la fin du film ; après, ils se sont étreints et consolés mutuellement. Pour moi, ce qui compte, c'est ce qui se produit grâce au film." Or ce qui se produit c'est autant une grande émotion artistique et cathartique qu'un indispensable travail sur la mémoire.
antoclerc
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le 23 janv. 2014

Modifiée

le 24 janv. 2014

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antoclerc

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