L'heure semble être venue pour les Américains d'affronter l'un de leurs pires démons, la barbarie de l'esclavage sur laquelle s'est largement construite l'économie de la nation. Après la revanche des "niggers" offerte par Tarantino, voici donc avec "12 Years a Slave" une plongée sans concession dans l'horreur de l'esclavage à travers le long, long calvaire de Salomon, qui chute d'une enviable condition d'homme libre et fortuné à celle - ici littéralement terrifiante - de propriété de Sudistes plus monstrueux les uns que les autres. "12 Years a Slave" est un film "militant", offrant un portrait sans concession - mais pas complètement sans nuances, heureusement - d'une société blanche qui patauge dans l'ignominie suprême (la négation absolue de l'humanité chez "l'autre") ; un film remarquablement dirigé, loin des poncifs hollywoodiens (aucun sentimentalisme ici, aucun bon sentiment d'ailleurs, aucune rédemption heureusement), chaque scène étant construite comme un bloc de pure angoisse / terreur / haine etc. viscérales... C'est une expérience peu aimable, furieusement éprouvante par moments, jusqu'au point d'en devenir peut-être critiquable, puisqu'aucun moment de repos, de répit, sans parler même de paix ou de bonheur, de la vie des esclaves, ne nous est jamais montré en 2h15. La seule scène pouvant d'ailleurs exprimer une sorte de conscience est celle du blues, scène que l'on ne peut s'empêcher de trouver caricaturale, tant elle correspond aux "clichés blancs" en vigueur. Mais la force unique du propos de McQueen, au delà de la haine bien naturelle qu'il exprime vis à vis du système esclavagiste et de tous ses rouages, c'est l'intelligence avec laquelle il nous montre l'apathie des victimes (voir la scène de la pendaison de Platt), comme le sentiment de culpabilité et de honte irrépressibles qui les noie peu à peu, et qui explose dans la scène finale. Difficile d'aimer ce film, mais tout à fait impossible d'en nier d'ores et déjà l'importance historique. [Critique écrite en 2014]