Texte originellement publié sur Filmosphere le 28/03/2016.
http://www.filmosphere.com/movies/13-hours-michael-bay-2016/
Dans le tumulte géopolitique actuel, il fallait bien que le plus dissonant et maladif des auteurs hollywoodiens apporte son grain de sel. D’un certain point de vue, 13 Hours pourrait être une pierre importante au sein de l’édifice qu’est le film de guerre selon le cinéma post-moderne. Toutes les vitesses, toutes les influences et tous les débordements de Michael Bay s’y recoupent. Comme lui aura été à l’image d’un nouveau cinéma transfiguré par une culture de l’image désinhibée, son film de guerre n’est aussi que le reflet de son propre monde : chaotique, violent, extrême.
Que l’on soit cependant clair : jamais ces lignes ne seront un requiem à l’encontre de Michael Bay. Quand il est question d’auteur maladif, jamais ça n’est un jugement mais un fait, et c’est cela qui rend l’étude de son cinéma passionnante. 13 Hours est, à peu de choses près, une relecture modernisée de The Alamo de John Wayne, et La Chute du Faucon noir de Ridley Scott. Le parallèle en question n’est pas simplement pour des questions de formes (visuelles ou scénaristiques, mais nous y reviendrons aussi) ou même parce que le scénario de Chuck Hogan cite les deux films explicitement dans le dialogue, mais aussi pour des raisons politiques, car ce sont eux aussi des films à deux vitesses. Si les idéaux du film de John Wayne pouvaient se résumer à une confrontation de l’idéal conservateur américain face à la menace extérieure, évidemment référencée par le bloc soviétique, on a pu distinguer certaines nuances dans le film sans doute permises par la furtive collaboration de John Ford. Le film était globalement oubliable, mais paradoxalement passionnant dans le rapport à son époque et à ses auteurs, politiquement tous deux complexes. Quant au film de Ridley Scott, produit notamment par Jerry Bruckheimer (par ailleurs ancien producteur de Michael Bay), il a souvent et longuement été interprété de travers, comme une apologie de la culture belliciste américaine alors qu’il était question d’un constat politique alarmant sur l’incapacité des États-Unis à policer le monde malgré ses prétentions. Avec un certain recul, parfois maladroit, 13 Hours en fait la synthèse.
Il était une fois, encore, l’Amérique qui police en secret le monde. Il est constamment rappelé, parmi les protagonistes de cette armée secrète de Benghazi, qu’ils ne sont que des hôtes illicites et littéralement malvenus. La CIA, au cœur des mouvements politiques du pays, n’apparaît jamais réellement comme un soutien au peuple ; ça n’est qu’une lutte d’intérêts, et elle soutient un clan face à un autre, se jetant sur les miettes de Kadhafi. Dès son postulat, le film est plus balancé et intéressant que le moralement puant Pearl Harbor, pour rester dans la veine du cinéma de guerre selon l’auteur en question. Dans les entrailles de la ville côtière libyenne se taille l’atmosphère totalement anxiogène du film. Son spectre urbain, lourd, est capté avec la caméra volage de Dion Beebe qui ne manque jamais de rappeler la stylistique d’un certain Michael Mann. Cette ville, sans loi ou presque, westernienne, devient le lieu parfait d’un règlement de comptes à grande échelle. Finalement se trame l’échec de la politique devant l’inéluctable et vaine violence.
Là est la complexité du film : dans une main nous avons un groupe de soldats surentrainés luttant héroïquement pour défendre une poignée d’Américains sans défense, et dans l’autre, le fait qu’ils soient abandonnés à leur sort par le propre gouvernement qu’ils servent. Mais c’est bien connu, l’Amérique aime aussi ses héros déchus ou non reconnus, et c’est déjà ce que Michael Bay profilait à l’époque de The Rock à travers le personnage d’Ed Harris, le général Hummel. C’est même à se demander si 13 Hours ne pourrait pas être le préquel de celui-ci. Michael Bay en devient presque complexe sur le plan politique, comme s’il était un progressiste rétrograde. Ceci dit, cela donne du fond à son film et ne le fait pas se contenter d’un exercice de style hommage aux classiques du genre.
Le bonhomme se fend alors de signer, avec peu de doutes, le film de guerre le plus visuel depuis La Chute du Faucon noir. Pour marquer le coup, Ridley Scott avait à l’époque collaboré avec Slawomir Idziak, chef-opérateur de Krysztof Kieslowski. Ici, Michael Bay s’embarque donc avec Dion Beebe, dont le travail photographique révolutionnaire sur Collateral [1] a marqué tout le cinéma contemporain. C’est un vrai vent de fraîcheur pour le cinéaste, qui s’émancipe éventuellement de cette condition de fils dégénéré et prodige du couple Steven Spielberg – Tony Scott, pour aller lorgner vers de nouvelles formes. 13 Hours reprend des codes bien balisés et pourtant il semble filmer les affrontements encore différemment de ses mentors. Caméra à l’épaule, à hauteur d’homme façon Mann, il s’assure de l’immersion avec ses protagonistes, alors qu’avec son plus classique jeu d’échelles, il témoigne de toute l’ampleur du combat. La férocité est telle que chaque moment de pause constitue un réel soulagement, pas que pour les personnages, mais aussi pour le spectateur, à l’œil presque usé devant tout ce déploiement, certes virtuose, d’artifices visuels.
A peu de choses près, 13 Hours pourrait être le meilleur film de son auteur. Si, dans No Pain No Gain, il trouvait un fabuleux équilibre dans un certain (et relatif) assagissement, ici, cette plongée dans l’excès fait en effet ressortir de nouveau le plus impressionnant, mais rompt ledit équilibre. Avec plus d’honnêteté, il faut surtout lorgner du côté du script de Chuck Hogan, qui amène finalement l’emphase émotionnelle très maladroitement. Dans le premier tiers, un flash-back sorti de nulle part brise la linéarité, alors que la figure de style n’est jamais reprise dans la suite du récit. Les liens sentimentaux des protagonistes alourdissent le film alors qu’ils sont aussi nécessaires. Mais si, dans American Sniper, le lien unissant Chris Kyle à sa femme était capital, car au sein d’un film centré sur l’autodestruction de son protagoniste principal et la dissolution de l’équilibre de la cellule familiale, c’est ici beaucoup trop lambda, beaucoup trop platement “fonctionnel” pour donner plus d’envergure aux soldats. Les répercussions se ressentent à la toute fin, renouant avec les images les plus maladroites (mais classiques) du réalisateur, arrivant à détonner dans un film plus intéressant et intelligent que cela. Tant qu’à poursuivre la voie des reproches, il faut noter qu’ici Michael Bay ne collabore pas avec le sympathique Steve Jablonsky pour la musique, mais le bourrin Lorne Balfe qui applique platement la lourdeur stylistique des canons musicaux contemporains.
Ne nous leurrons pas cependant, jamais les détracteurs de Michael Bay ne se réconcilieront avec celui-ci devant l’incendiaire 13 Hours. S’il est, selon les éléments, une évolution de son auteur, il n’en reste pas moins non plus un paroxysme complet. L’exercice du film de guerre, dans le monde actuel (politique comme cinématographique) n’est certainement pas anodin, à l’heure où le genre s’est peut-être davantage raréfié que le western. D’autant plus de raisons d’observer le dernier Michael Bay comme un objet passionnant et, disons-le, rare. Hollywood pêche depuis longtemps par excès et le réalisateur aussi. Pourtant, c’est dans ce même excès qu’il cherche aussi une forme de rédemption, désormais défait son adolescence cinématographique, presque conscient d’être un auteur. Tous les péchés sont pardonnés. Va, mon fils, je te bénis.
[1] Collateral fait partie de la première vague de films américains a avoir été intégralement tournés (sauf une séquence, dans ce cas-précis) avec des caméras numériques professionnelles. Les images qui avaient été à l’époque obtenue grâce à la Thomson Viper présentait un Los Angeles nocturne comme on ne l’avait encore jamais vu, même chez Michael Mann.