Bien sûr, avant tout, il y a l'immersion. Le film s'ouvre sur un dormeur engourdi, comme ce spectateur qui s'installe paresseusement dans le film. Ce soldat presque sans nom, c'est le suiveur, celui qui est emmené dans une aventure sans avoir donné son avis. Parce que c'est Blake qui est concerné, c'est Blake dont le frère mourra s'il ne parvient pas à délivrer son message, c'est Blake, cette humanité touchante qui nous rappelle au souvenir des cerisiers en fleurs, ce cœur vaillant qui sauve son ami des décombres. Nous, comme son camarade Scofield, nous n'avons pas encore d'attache: un soldat qui a un passé de soldat antérieur flou, qui s'est détaché de sa famille par désespoir, parce qu'il sait qu'il ne les reverra pas, un soldat vierge en somme. Mais c'est ce soldat errant, on le réalisé au court du film, qui sera le héros de ce voyage, qui sera nous. L'immersion dans la peau de ce soldat, bien sûr, sera facilité par un effet plan séquence bluffant de maîtrise et de pertinence (rarement une performance technique aura aussi bien servi l'émotion). Mais c'est aussi par cette attachement progressif à Blake, à la mission qu'il porte à la ferveur et qu'il passe en relai par un dernier souffle. Nous voilà plus que jamais impliqués dans cette mission et nous ne nous reposerons pas tant que le message n'aura pas été délivré. Et il en sera ainsi: Mendes nous emmène à travers les tranchées, villages en ruines et vergers décimés, à travers une guerre dont on comprend la réalité de l'horreur, la temporalité et l'absurdité, mais surtout à travers l'émotion : parvenant ce miracle que seule la vie sait produire, il fait cohabiter en un monde horreur, adrénaline, poésie et remise en question.
En ce sens, il s'agit là d'un voyage. Au point À nous apprenons d'emblée le point B: la consigne est claire. Comme tout bon voyage, il est parsemé d'intrigues d'embûches, de tendres surprises et de violences auxquelles on est jamais préparés. Ce voyage, il se passe ici en 1917 mais il pourrait se passer à n'importe quelle époque tant il est universel. Initiatique, il invite le héros à retrouver le sens du beau, à dépoussiérer un instinct de survie enfoui sous les décombres, enfin à donner du sens à sa marche. Quand la guerre n'est plus une question de tuer des hommes, mais d'en sauver. Quand la guerre est surtout une représentation de ce chemin de vie que nous faisons tous, perdus dans le sens, bientôt missionnés jusqu'à la mort par le lien d'amour. On y apprend en chemin à retrouver l'espoir, en hommage, peut être à ce soldat qui se sentait à la hauteur d'une mission impossible et qui nous avait embarqué dans l'aventure. Car Blake réveille bien un Scofield endormi dans sa foi: pourtant, parce qu'il ramassait des cerises avec son frère et qu'il ne veut pas le voir mourir sur le champs de de bataille demain, Blake parvient à ramener au souvenir de Scofield le pourquoi de son existence, le pourquoi de sa résilience. On chemine, épreuve après épreuve, traversant les horreurs, parce qu'il y a du beau dans ce monde: des pétales blanches qui tombent au mois d'avril, des bébés qui vous attrapent la main, des lumières chaudes dans le froid de la nuit, de la poésie dans l'horreur d'une guerre. Ce voyage initiatique, c'est l'espoir retrouvé, qui poussera finalement Scofield à réouvrir cette boîte métallique, gardée là contre ce cœur, dernier item survivant à l'épopée et renfermant une photo de sa famille, un espoir de les revoir, le courage retrouvé de se dire qu'il vivra pour revoir leur visage.
C'est près d'un arbre que se clôt le film et on se demande s'il ne s'agit pas du même. Le voyage du point A à un point B serait-il une boucle illusoire avons nous seulement quitté le sommeil de cette sieste printanière. Rien n'a changé et pourtant tout a changé. C'est par ce mouvement cyclique que Mendes nous invite à penser l'universalité de son film, nous rappelant que, comme dans la vie, ce n'est pas la destination qui compte mais le chemin parcouru. Soulignant au passage l'absurdité de la tâche, l'absurdité d'une guerre ou l'absurdité d'une vie, car après tout, les arbres tombent mais renaissent de leur noyaux. 1917 nous ramène ainsi à l'humilité de notre humanité, qui ne fait que passer dans un monde éternel. Car il y aura d'autres messages à porter, d'autres Scofield pour les porter, d'autres guerres et d'autres vies.
Mendès réussit ainsi avec 917 un film d'une grande maitrise (on reconnaît là les talents d'un metteur en scène pour qui le plan séquence est une opportunité d'expression), nous emmenant avec lui dans un voyage initiatique à hauteur d'homme, en ce qu'il est universel. Et l'universalité n'est-elle pas l'élément distinctifs des œuvres considérables ?