Après une première adaptation en 1954 sous forme de téléfilm, avec Peter Cushing et Donald Pleasance, qui créa quelques remous chez les téléspectateurs britanniques et une autre en 1956, réalisé par Michael Anderson et tellement conforme aux canons hollywoodiens que la veuve d'Orwell intenta un procès contre la production. Procès qu'elle remporta en réussissant à en retirer toutes les copies, il fut certainement très compliqué de produire une troisième adaptation avec l'accréditation de l'ayant droit. Sonia Orwell accepte néanmoins suite à la promesse du producteur Marvin J. Rosemblum de rester fidèle aux écrits de son défunt mari.

Face au potentiel cinématographique du roman original, Rosemblum investit de considérables moyens pour rendre parfaitement crédible l'univers totalitaire et inhumain imaginé par le célèbre romancier. Avec un trio de comédiens aussi impliqué que sensationnel (John Hurt, Richard Burton et la jeune Suzanna Hamilton) et un réalisateur (Michael Radford) qui vient d'obtenir un joli succès critique et public avec son précédent film Les Cœurs Captifs, la production épaule ce dernier quant à sa volonté de centrer le métrage sur le conflit opposant l'individu (en l’occurrence ici Winston Smith) à la société. C'est ainsi que quelques personnages de moindres importance ont été écartés tandis que les personnalités de la victime (Smith / Hurt) et du bourreau (O'Brien / Burton) s'en trouvent renforcées.

Une chose est bien claire au début du film, Smith est resté humain dans cette société déshumanisé. Et comble d'ironie caustique, son emploi au Ministère de la Vérité le conduit à falsifier l'Histoire, qu'elle soit passée, présente ou future. Du coup, le contraste décrit originellement par Orwell dans son roman prend ici toute sa valeur, surtout en se souvenant que la véritable profession de ce dernier était journaliste et qu'il a longtemps couvert les conflits fascistes fomentés par le dictateur Franco, dont la barbarie se voyait excessivement atténuée dans les articles de presse internationaux.

Le film baigne donc dans une constante atmosphère oppressante, glauque et terriblement crédible. Les décors créés pour les besoins du tournage contribuent totalement à renforcer cette impression de claustrophobie et d'agoraphobie omniprésente dans le roman. Nous nous trouvons ainsi projetés dans une société complètement différente, aux mécanismes originaux, mais où nous reconnaissons parfois avec angoisse des éléments propres à notre culture. J'ai personnellement songé à l'ambiance de certaines œuvres de Philip K. Dick découvertes au temps du lycée, comme par exemple Le Maître Du Haut Château où une histoire parallèle décrit une société inspirée de la nôtre tout en ayant évolué différemment.

En ce qui concerne cette adaptation, Radford et ses décorateurs ont délibérément choisi de créer une société basée sur celle de l'Union Soviétique que l'on retrouverait déshumanisée au cœur de l'Angleterre. Peut-être le seul point faible du film, par ailleurs. Sorti à l'époque où la guerre froide faisait encore la une des actualités et s'immisçait symboliquement dans de nombreux films, l'allégorie est parfois ici médiocrement alourdie au rythme de chants traditionnels soviétiques. Heureusement que le duo Eurythmics vient y glisser son petit grain de sel avec sa synthpop qualitative et intemporelle.

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le 19 juil. 2023

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