1:54 , de Yan England (106 mn) – Canada ;
Tim, 16 ans au début du film - il fêtera ses 17 ans avant la fin - partage la passion de la chimie avec son ami Pierre pour qui il éprouve aussi une certaine attirance plus sensuelle, qu'il ne mènera pas à son terme. Pierre est en bute aux persécutions de ses copains de lycée, ce qui le conduira au suicide. C'est Tim qui devient alors la bête noire des persécuteurs. Alors que, bon coureur il avait renoncé à la compétition, au grand dam de son père qui l'élève seul depuis la mort de sa mère, il décide d'affronter Jeff, le champion du lycée, principal responsable de la mort de son ami, et accéder ainsi à sa place aux nationaux d'athlétisme. Il l'affronte aussi au cours d'une fête entre copains de classe, en absorbant d'un trait en temps chronométré une grande quantité d'alcool. Saoul, il sort prendre l'air, voit son ami suicidé s'approcher de lui. D'autres le voient lui et le photographient, pantalons baissés. Cette photo sera exploitée pour le démolir sur les réseaux sociaux. Effectivement il craque, puis se ressaisit et reprend avec plus d'ardeur son entraînement. Le jour de la compétition, alors qu'il a toutes ses chances, sur la piste même le harcèlement se poursuit. Il va alors mettre son savoir pyrotechnique au service de sa vengeance, et dépose une bombe dans une fête où sont réunis ses condisciples et bourreaux. Mais, arrivée imprévue, Jennifer, la seule qui lui a apporté son soutien, pénètre dans la salle où est déposée la bombe.
Je n'aime pas du tout le titre qui cache le vrai sujet du film en le réduisant à une rivalité sportive. Si compétition il y a c’est au nom du droit à vivre sa vie. Le vrai sujet du film, c'est le rejet d'une forme de sexualité – celle de Tim d'ailleurs est trouble, non affirmée, celle de Pierre nous demeure inconnue même si lui est conscient de sa différence (« Qu'est-ce que ton père pense de notre présence seuls ici ? » demande-il à Tim, alors qu'ils sont allongés dans l'herbe dans un moment d’intimité). C'est aussi la cruauté de l'adolescence qui est sans indulgence pour pouvoir se persuader d'être un dur en ces moments où l'être se révèle le plus fragile et incertain (je pense ici aux désarrois de l'élève Toerless, de Musil, dont Volker Schlöndorff tira un film magnifique en 1966), et dispose désormais grâce à Internet, aux réseaux sociaux, à la téléphonie, d'outils bien plus pernicieux que les personnages de Musil du tout début du XX° s. C'est encore la difficulté que rencontrent les adultes pour communiquer avec leurs enfants qui ont grandi et qui, avec toute leur bonne volonté, n'arrivent plus à soupçonner ce qui peut engendrer de telles détresses. Le père de Tim est émouvant dans ses tentatives pour renouer le dialogue avec ce fils qui pourtant n'est pas spécialement difficile, avec cet adolescent qui ne peut pas davantage mettre des mots sur sa souffrance et qui doit l'assumer seul. Cette communication passe autrement au niveau d'une classe d'âge, par antipathie comme par sympathie. Jennifer comprend tout, et le soutiendra à fond, intelligemment, avec sensibilité, après un bref instant de révolte légitime quand elle a été considérée comme un objet dans la scène où Tim, pour se dédouaner de ce dont on l'accuse, l'embrasse publiquement dans un réflexe provocateur dont il n'est pas en mesure de mesurer les conséquences. Elle révèlera alors une intelligence de cœur quand les autres se liguent pour désigner le mouton noir afin de ne pas avoir à reconnaître leurs propres incertitudes.
Des films vus récemment (Techiné, Dolan, et quelques bribes attrapés sur Internet,), mes lectures d'Hockenghem, ma fréquentation de milieux plutôt libérés, la rencontre d’une jeunesse qui ne se résigne pas, et à qui je dois d'ailleurs la découverte de ce film, m'avaient presque persuadé que les temps avaient changé. Le film de Yann England renvoie à la réalité et devrait nous interroger sur toutes nos renoncements.
Premier film d'un jeune auteur, ce n'est pas une œuvre qui par sa forme présenterait une spécificité à signaler. C'est un film honnête, bien servi par ses jeunes acteurs, qui traite d'un sujet délicat avec une grande force. C'est un de ces œuvres qui devraient nous interpeller, comme celles des Téchiné, Dolan, Hockenghem, Eribon, D. Guérin et quelques autres autres, pas si nombreux que ça. Les déchaînements autour du « mariage gay » ne sont pas qu'un épiphénomène. La haine à l'égard de l'homosexualité provenait jadis des adultes, gardiens de l'ordre moral, et pourvu qu'elle ne se manifeste pas de manière trop provocatrice, dans le secret des alcôves, fussent-elles celles des dortoirs, était relativement tolérée par les pairs. Les gardiens de l'ordre moral ne supportent pas la revendication de la liberté, mais quand cette dénégation s'empare aussi de l'adolescence, même si on sait que ce qui motive cette réaction n'est que la peur de soi-même, on ne peut qu'être abattu et désespéré. Ou se décider enfin à faire face.