S'il existe un film ambitieux sur cette planète, c'est bien 2001 : L'Odysée de l'espace. Le propos est profond, philosophique, génial. Le scénario, ciselé, la photographie splendide, les effets spéciaux novateurs, la musique, parfaitement choisie. Le film cumule tant de bons points dans tous les domaines qu'on se demande à certains égards s'il n'est pas l'oeuvre d'un dieu.
Le dieu en l'occurence, c'est Stanley Kubrick, un réalisateur mythique qu'on ne présente plus et qui livre en 1968 ce film visionnaire, l'entrée dans l'art du genre de la science-fiction, un horizon quasi indépassable depuis lors, aussi culte que le Métropolis de Frizt Lang.
Dieu c'est aussi le grand sujet du film, rien que ça. Interrogation sur les origines de l'homme et sur le but de notre existence, interrogation sur le sens de l'univers et du monde. Le film débute sur une des scènes les plus incroyables du septième art, des millénaire d'histoire ramassés en quelques minutes, du singe à la conquête spatiale. Cette ellipse temporelle se traduit par une transition absolument géniale : un os tournoyant, représentant à la fois le premier outil et la première arme de l'humanité devient une station orbitale nucléaire, avancée technologique ultime et futuriste.
Le film a pour fil conducteur un étrange monolithe, apparu aux premiers hommes à l'aube des temps, redécouvert sur la Lune en l'an 2001, sorte de moteur de l'intelligence humaine. Ce bloc de métal froid et sombre semble représenter une sorte de puissance supérieure, rectangulaire et géométrique. Il y également l'intelligence artificielle, représentée par Hall-9000, non seulement un des robots les plus marquants de la science-fiction mais aussi un rôle de méchant culte.
Le réalisateur en profite pour s'interroger sur la robotique, son rapport avec l'homme, inspiré directement des fameuses lois de la robotique d'Asimov. On peut également s'interroger longtemps sur la signification des couleurs, des formes dans ce film, notamment l'omniprésence de deux formes contraires, le rond et le rectangle, à certains moments clés du film. Kubrick distille des indices tout au long de son film. Ainsi parlait Zaratoustra, célèbrissime air de Richard Strauss ponctue également l'oeuvre. Ce n'est jamais un hasard, surtout avec Kubrick. C'est un clin d'oeil appuyé à la philosophie nieztschéenne du "surhomme". Le film, on le voit, est un film tiroir, un film tellement abouti qu'aujourd'hui encore il laisse perplexe et qu'il reste inrésumable et inexplicable.
Il est aussi un tournant pour l'histoire des effets spéciaux et sur le film de science-fiction, un an avant la conquête de la Lune. On dira d'ailleurs, pour les partisans de l'incrédulité, que Kubrick aurait filmé en studio ce fameux voyage sur la Lune, la NASA ayant été impressionnée par son travail sur 2001. Le film est monstrueux, une équipe technique gigantesque (35 décorateurs de plateau, 25 spécialistes des effets spéciaux, des consultants techniques et scientifiques), Kubrick aime la démesure, qui, seule, correspond à son cinéma. Une autre thématique, fascinante, c'est le contraste, entre la musique, omniprésente par moment et la lenteur du film, voire le silence. Kubrick renforce le sentiment d'immensité et de désolation de l'espace. Cette manière de traiter le sujet de manière hyper-réaliste est un modèle du genre et tout film de science-fiction se doit de respecter ces règles.
Stanley Kubrick parvient donc au coup de force absolu : brasser les grands thèmes de la science-fiction. 2001 est à la science-fiction ce qu'a été Chaplin pour le film muet. Il a donné des lettres de noblesse à tout un genre, lui donnant des codes toujours utilisés aujourd'hui. C'est une référence, une oeuvre maitresse, comme les Petits Poèmes en prose de Baudelaire ont consacré le genre du poème en prose, en horizon indépassable souvent copié et jamais égalé.
Reste ce somptueux final, psychédélique, métaphysique, cyclique. On ressort du film bouleversé et dubitatif. Kubrick ne nous donne aucune réponse. Et voilà que depuis 45 ans, le film alimente encore tous les fantasmes et les interprétations. C'est cela, le génie.