Quand j'étais plus jeune, je voulais être astronaute. Je rêvais d'aller dans l'espace. Ca aurait pu être cowboy ou pompier, mais non, l'espace, pas sauver des gens ou séduire des demoiselles en goguette. Ce rêve fut aussi l'origine de ma première grande déception, quand je découvris qu'il fallait être un bon scientifique pour prétendre à un siège dans une fusée. Je n'en avais pas du tout la fibre. De toute façon, je ne comprenais même pas pourquoi seuls les scientifiques pouvaient partir dans l'espace... comme si ça appartenait uniquement au domaine de la recherche, de l'étude, alors que je sentais bien qu'il s'y cachait autre chose, sans jamais avoir eu l'occasion de dire exactement ce que c'était. Et puis, je vis 2001, l'Odyssée de l'espace.

Le film s'ouvre sur un écran noir. On entend comme un orchestre qui se prépare, fait émerger de notes disparates un fond qui s'unit, doucement, se conçoit, vient au monde. Comme si la création était encore en gestation, que cet écran enténébré était tout d'abord le noir d'où allait émerger toute chose. Puis enfin, la Lune, la Terre, le Soleil et cette musique qui monte, presque optimiste après ces sombres tumultes, annonçant ce titre "2001, l'Odyssée de l'Espace". J'aime l'espace. Quand j'étais petit, je voulais être astronaute. Et puis un jour, j'ai appris qu'on envoyait dans l'espace que les gens très sérieux qui allaient y faire des choses très sérieuses et cela m'a déçu. D'une part, parce que je savais bien que jamais je n'aurais de fibre scientifique et d'autre part, parce que cela signifiait qu'on étudiait l'espace. Heureusement, la science-fiction a veillé à ce que l'espace reste toujours mystérieux, et son exploration ne s'est jamais faite sans heurte. Mais soyons sérieux, tous ces astronautes partis dans l'espace, ne cherchent-ils finalement pas toujours la même chose ? La quête des origines, à chaque fois, quelque soit l'oeuvre. Et c'est précisément le sujet de 2001, tenter de capter, non pas une réponse, mais l'exaltation presque religieuse et intellectuelle d'une telle quête.

Avant de quitter la Terre, il faut d'abord la filmer dans ce qu'elle peut avoir d'étrange. Ainsi vient la première partie, découvrant l'humanité dans ses premières heures, précisant l'apparition du monolithe et ainsi, sa fonction supposée qui poussera l'humanité à le chercher encore : l'évolution. Pour moi, cette première partie a une autre fonction, qui ne m'avait pas frappé au premier visionnage : la Terre est prise dans le cadre avec des atours presque lunaires, exposée en quelques images statiques qui évoquent davantage Mars que notre brave planète bleue, comme si l'auteur cherchait, avant de s'engager dans l'espace, nous rappeler que la Terre n'était finalement qu'un morceau de roche parmi d'autres, dont l'unique signe distinctif était de disposer d'une atmosphère. Ce n'est jamais qu'une planète dont l'humanité doit apprendre à se détacher. Et pour moi, d'une certaine façon, c'est déjà toucher à l'espace que d'apprendre à quitter sa "maison" la plus symbolique. L'homme est un explorateur qui veut soumettre son environnement : l'espace est son meilleur ennemi.

On passe ensuite à l'étrange seconde partie, intéressante dans sa nouvelle approche. Lancé dans un futur pas si lointain, elle présente simplement un scientifique se rendant dans une base de recherche sur la Lune. Un voyage qui revête une apparente banalité, le scientifique saluant des collègues dans une sorte de spatioport qui fait étape entre la Terre et son satellite. C'est l'espace apprivoisé, dirait-on. Les personnages échangent tranquillement, sur fond lunaire, jusqu'à ce que la tension voit le jour. Un objet a été trouvé, enseveli volontairement il y a des millions d'années sous la surface de la Lune. Quand bien même la situation est décalé, aucun des personnages ne semble en faire grand cas et tous discourent encore sur le goût de leurs sandwichs respectifs en se rendant sur le lieu de l'excavation. Et finalement, le mystère refait surface, lors de cette séquence étonnante de rencontre entre l'homme moderne et le monolithe.

Au final, ces deux histoires presque indépendantes l'une de l'autre, ne servent qu'à introduire la partie principale, la mission du Discovery. Un long vaisseau, lancé dans l'espace, avec à son bord plusieurs scientifiques en cryogénie, dont deux seulement sont éveillés, Frank Poole et Dave Bowman, ainsi qu'Hal, l'ordinateur de bord. C'est là que l'exploration de l'espace commence enfin, dirait-on, après une bonne heure de film.

Pour éprouver cette sensation étrange que procure un infini que l'on cherche en permanence à atteindre, le film se dote d'une qualité qui fait son défaut pour la plupart des gens à qui j'en ai parlé : la pesanteur. Certains jugeront qu'il s'agit d'une lenteur, de l'exagération de la longueur de certains plans, afin de prolonger la vie du métrage. Pour moi, il s'agit surtout d'installer la lenteur du vide, cette façon de se mouvoir si pachydermique. En ça, le film se permet ainsi de longues séquences où il laisse à l'écran l'immensité, mouchetée d'une planète, d'un vaisseau aux formes austères, sur une musique qui emplit autant les oreilles que l'esprit.

Enfin, pour reparler un instant de la quête dont il est finalement question, j'ai demandé à un ami pourquoi il n'aimait pas "2001" et il m'a répondu qu'il trouvait le film trop religieux. Je pense qu'en un sens, il a raison; Ce n'est guère un film sur la confrontation entre l'homme et le monolithe - cette force extraterrestre désincarnée. C'est un film sur l'exploration de l'infini - et en cela, il rejoint presque une quête intime du mystique. Au point que la trame de la troisième partie me semble être une opposition entre la créature et le créateur : le besoin divin de créer à son image et la confrontation. La mort de HAL, à ce titre, m'a choqué... essentiellement lorsque la voix atone supplie Dave d'arrêter. Glaçante conscience soudaine de sa fin si proche...

C'est difficile de dire ce que j'ai réellement aimé. Beaucoup de critiques avant la mienne ont étayé bon nombre de points que j'ai à peine dû effleurer. Je n'ai pas trouvé les acteurs exceptionnels - si ce n'est l'étrange douceur de Dave lorsqu'il déconnecte HAL, comme s'il l'accompagnait presque tendrement. C'est réellement la pesanteur du film qui en fait sans doute la meilleure expérience spatiale : il touche ce qui m'a toujours fasciné dans l'espace, cette part de mystère, d'intangible et de divin, cette façon de mêler exaltation religieuse à science avancée et surtout, il demeure ce rivage mystérieux qui continue d'alimenter autant la passion que le désir de le conquérir. Voilà ce que j'ai trouvé dans 2001. Parce que quand j'étais petit, je voulais être astronaute. Et à la place, j'ai fini par faire de la natation.

Créée

le 6 nov. 2014

Modifiée

le 9 nov. 2014

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