Trop riche en interprétations, trop complexe par sa fin ouverte, trop commenté, je ne voulais pas faire une énième critique de plus sur ce film quand on m'a fait remarquer avec justesse qu'aucun des films de mon Top 10 n'avait de critique.
Parler d'un film qui s'adresse à l'émotionnel, essayer de l'expliquer par des mots alors que l'on a décompté 88 minutes sans dialogue dont 25 minutes consécutives au moment du voyage final est un pari trop risqué. D'autres l'ont fait et le feront mieux que moi. Il ne restait que le biais de la musique pour donner un bref aperçu de cet objet filmique indicible et hypnotique.
Le majestueux Also Sprach Zarathustrade Richard Strauss en préambule accompagne la prise de conscience du pouvoir de l'outil par les Australopithèques et leur passage à un état dit plus évolué (savoir technique plus avancé, accompagné de violence, de volonté de puissance).
La valse mélancolique An Der Schöne Blaue Donau de Johann Strauss jouée alors que le vaisseau s'approche de la Terre propose une idée de la perfection technique et scientifique par sa synchronisation avec les images de la rotation harmonieuse du vaisseau circulaire dans l'espace ou du célèbre passage de la serveuse dans le sas grâce à une rotation la tête en bas.
Le climat mystérieux et oppressant de Lux Aeterna de György Ligeti à l'occasion de la descente dans le cratère de Tycho sur la Lune est le passage-clé de la nouvelle d'Arthur C Clarke la Sentinelle : un signal d'alarme se superpose soudain à la musique, une onde radio est alors émise jusqu'à Jupiter pour avertir les extra-terrestres que l'Homme a franchi une étape de son évolution, puisqu'il a réussi à toucher le mégalithe-sentinelle caché sous la Lune.
La musique apaisée de l'Adagio du ballet Gayanné de Khatchatourian souligne la solitude de l'occupant de Discovery One en train de courir dans le vaisseau en route vers Jupiter, métaphore prémonitoire de l'homme toujours plus isolé dans son univers technologique omniprésent au milieu de l'Espace si indifférent.
Bien évidemment pendant tout la durée de la tentative de prise de contrôle du vaisseau par HAL devenu fou il n'y a aucune musique, juste le silence inquiétant émanant du grand œil rouge cyclopéen ponctué par une sorte de respiration artificielle.
La chanson Daisy Bell (Au clair de la Lune dans la version française) chantée par HAL 9000 à la dernière phase de sa désactivation est d'une profonde tristesse , comme si derrière l'intelligence artificielle il n'y avait que désespérance dans un monde technologique abandonné par la spiritualité.
Echoes de Pink Floyd était paraît-il prévu pour illustrer le passage psychédélique où le temps semble s'accélérer comme si le vaisseau passait par un « trou de ver » mais Roger Waters a refusé. Au lieu de cela à nouveau Lux Aeterna et Adventures de Lygeti distillent une angoisse diffuse. Je rajoute donc le lien vers Pink Floyd juste pour le fun.
Also Sprach Zarathustra dont la référence à Nietzsche n'a échappé à personne fait sa réapparition à la fin au moment du passage de l'homme vers l'enfant des étoiles « Übermensch, le surhumain, est le sens de la Terre, dit Nietzsche ». L'enfant des étoiles, dernière métamorphose qui représente l'étape supérieure de l'homme,un état aussi éloigné de l'homme actuel que l'homme actuel l'était de l'Australopithèque, un nouvel état plus évolué souhaitable pour l'Humanité.
Rares sont les films qui changent le spectateur, qui l'élèvent vers sa part d'éternité et le réduisent en même temps à sa part de poussière, lui font ressentir sa solitude tragique dans ces espaces infinis, l'accompagnent dans son désir de dépassement nietzschéen de lui-même et le rappellent à sa conscience triviale d'espèce Homo sapiens. Indépassable, précis dans les moindres détails, mégalomane, visionnaire, 2001 est le catalyseur de tous les épithètes qui s'appliquent également à son auteur Stanley Kubrick.