Première constatation, on n’échappe pas au gimmick du communisme. Et le film affiche d’office quelques défauts à l’impact formel certain quand on compare à 2001. Ce dernier avait des airs de space opera en ne posant les pieds sur le sol que dans son introduction, ici, on a vraiment l’impression d’avoir un film des années 90 sous les yeux, qui rompt la continuité avec son prédécesseur. C’est bien ce qui est problématique dans son évaluation, car difficile de tenir compte de ses qualités si il ne respecte pas les règles établies par son prédécesseur en revendiquant tout de même la filiation… Autre écueil de taille : les effets spéciaux. Pas mal de plans sont très bien réalisés, mais plusieurs montrent des résultats décevants (je pense au catapultage gravitationnel autour de Jupiter, où la moitié des plans montrent une boule en feu qui brûle dans l’espace (avec même quelques petites gouttes d’essence enflammées qui « tombent »), pendant que des écrans de toutes les couleurs défilent devant nos russes). Et cette première sortie extravéhiculaire qui sent bon l’incrustation… Et ce poste de pilotage russe constellé de millions de boutons de couleurs différentes qui n’ont rien d’ergonomique… Ce côté a indéniablement vieilli, un peu la honte quand le prédécesseur n’a toujours pas pris une ride. Et enfin, certaines lourdeurs apparaissent dans son contexte social. Vu que nous avons les deux camps de la guerre froide, on se doute que la coopération va devoir se tourner en collaboration et en rapprochement des peuples. Mais à plusieurs reprises, le film fait quelques erreurs un peu lourdes, comme cette petite ruscoffe qui vient se blottir contre Roy Scheider pendant le catapultage, ou encore l’absence d’apparition de Bowman auprès des russes, qu’il aurait été bien plus avisé de traiter davantage, plutôt que de les voir comme de simples taxis de l’espace. Car c’est finalement davantage leur rôle, malgré les quelques avancées scientifiques qu’ils font. Et les américains auraient alors eu à faire confiance aux russes sans avoir eu de preuve de leur côté, en les obligeant à mettre aussi leur suspicion de côté.

Pour le reste, je trouve 2010 passionnant à bien des niveaux. Il a déjà une fonctionnalité qu’avait moins son prédécesseur (qui envoyait une mission en un battement de cil de deux ans aux confins du système solaire parce qu’un signal a été détecté là bas, et après on vient chier sur Prometheus…) dans les motivations des américains et des russes, et surtout, il est foisonnant et veut apporter des réponses. Je trouve que l’ambiance fonctionne clairement mieux ici que dans 2001, car l’ensemble n’est plus uniforme. 2001 est un film sans relief (sauf pour son final), 2010 mute sans arrêt, change ses objectifs selon ses découvertes, et tout en parvenant à conserver une part de mysticisme (l’excellent entretien entre Scheider et Bowman pendant lequel le film brise des codes cinématographiques avec des faux raccords montrant un personnage changeant sans arrêt de forme et disparaissant d’un changement de plan à l’autre, un procédé efficace et particulièrement bien trouvé). On part en sachant à peu près ce que l’on va trouver, mais de nouvelles découvertes (entamées par les analyses sur Europe) viennent changer la donne et vite rajouter de nouveaux intérêts. 2001 ne réussissait à introduire cette peur « cosmique » que lorsqu’il arrivait en face du gigantesque monolithe. Ici, cette peur est constante, le film s’appuie beaucoup dessus. Rarement on aura eu la sensation d’être aussi proche d’éléments colossaux, capables de détruire les modestes observateurs simplement en poursuivant les évènements cosmiques qui sont à l’œuvre. Et par-dessus cette peur, l’escalade vers la guerre entre les deux blocs rend les choses intéressantes entre les équipes russes et américaines, qui se voient donner des ordres par leurs gouvernements respectifs alors qu’ils ne sont plus sous leur juridiction. Le rapprochement par la science était initialement le bon moteur pour entamer les relations (c’est moins le cas aujourd’hui, vu que la science protège jalousement ses résultats pour en tirer un max de profits), cette peur était aussi une bonne piste, mais le film n’a pas réussi à conclure d’une façon très probante cet axe, puisque finalement, ils ne font que fuir ensemble et rentrer au pays.

Mais c’est aussi le traitement sur Hal-9000 que j’ai beaucoup apprécié. Quand on est cinéphile, il est impossible de ne pas parler de son revirement meurtrier dans 2001 et de ressortir cette interprétation sur la dégénérescence de l’outil, que 2001 marquait comme spontanée (une petite erreur étrange qui semblait se répercuter et qui gagnait en puissance avec la non remise en cause de la machine), 2010 la recadre comme une erreur humaine ayant entraîné un conflit entre les paramètres de mission de la machine. Le film joue alors sur l’indécision des hommes concernant son statut d’ordinateur meurtrier, et surtout par la reprise des mêmes erreurs pour se simplifier la tâche (ignorant les réactions de Hal concernant la perspective de son autodestruction, ils lui cachent le destin du Discovery pendant leur fuite. Par ce petit procédé, le film parvient à garder d’un côté les craintes actives, et de l’autre appuyer son message sur une vision plus morale de la technologie, la machine étant enfin programmée de façon cohérente par le créateur.

Enfin, 2010 regorge de faits scientifiques. Question réponses, le film développe considérablement les pistes de son prédécesseur, montre les mécanismes de création de vie (et ici, d’une étoile rendant la vie possible sur un monde), affine le statut de l’entité monolithique (plus perçue comme se rapprochant du contexte divin que des aliens), détaille le fonctionnement de Hal (avec quelques maladresses, les concepts émotionnels comme la joie et la satisfaction auraient dû être traités avec un peu plus de retenue, tout comme cette insistance sur les rêves). De ce côté-là, le film est passionnant, fonctionnel, et ouvre de nouvelles pistes constamment.

Au final, 2010 se révèle tout simplement plus vivant que le désincarné 2001, il a plus de reliefs aussi, malgré ses erreurs qui le rabaissent surtout dans la forme. La prise de risque du film est à nuancer, puisqu’il s’inscrit dans un contexte un peu différent de son prédécesseur, mais néanmoins, les pistes qu’il privilégie pour les icônes héritées de Kubrick possèdent un intérêt, tout en assurant un certain spectacle (chose qui ne venait jamais à l’esprit de 2001, radicalement ancré dans sa rigidité de ton. Plus souple et plus riche, à défaut d’être vu comme du bon goût, 2010 est une suite qui me semble honorable, qui parvient ici à trouver un équilibre que je trouve nettement plus satisfaisant en termes d’immersion que le trip mégalo de Kubrick. Pas toujours très bien inspirée hélas, mais constamment dans la progression, et ambitieuse de par ses conclusions, au sens cosmique en tout cas (les petites suggestions cathos des paroles de Scheider sont un peu regrettables, mais l’évocation du concept divin est appropriée).

Créée

le 15 juil. 2014

Modifiée

le 13 nov. 2014

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Voracinéphile

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