2001, l'oeuvre métaphysique de Kubrick que j'ai découvert il y a peu, c'est une vraie claque. Alors quand j'ai appris qu'il y avait une suite, j'ai sauté dessus, un peu craintif parce que, d'une part, ça n'est pas le même réalisateur, et d'autre part, parce que je voyais mal comment on pouvait donner une suite logique à une telle oeuvre.
2001 est scindé en quatre parties :
- L'aube de l'humanité, l'aurore des consciences
- Les débuts de la conquête de l'espace, la lune
- La mission du Discovery aux abords de Jupiter et de ses lunes
- La dimension supérieure, l'infini
Le film de Kubrick, c'est un film qui regroupe l'univers et l'homme, son origine, son chemin, sa destinée, sa place, sa condition. C'est un film sur la conscience, le savoir, la vie, la renaissance, l'esprit, l'évolution, le temps, les dimensions, l'intelligence artificielle...
Ces précisions sont importantes, parce que, lorsque l'on fait cette observation, on peut se demander pourquoi as-t-on voulu faire une suite de ce film, et comment est-ce qu'on a fait pour y parvenir (le constat de départ, c'est une certaine reconnaissance envers le réalisateur de 2010, pour avoir pu nous pondre une suite après une fin comme celle de 2001).
L'interprétation qu'on peut faire de 2001 est très variée, et il peut s'avérer périlleux d'essayer de donner une sorte de "liturgie" de ce film, imposer une lecture de l'oeuvre.
De même, le style du Kubrick est unique, et une suite qui ne reproduit pas ce style peut s'éloigner au point qu'on peine à reprendre le fil de 2001...
Puis surtout : Que dire après ça ?
Le film dépeint tant de notions que la tâche est vraiment lourde pour reprendre tout cela et en faire une suite, mais pour cela, Peter Hyams a procédé de diverses manières, c'est là l’écueil que je ferais au film :
Contextualisation
Le réalisateur de 2010 a voulu mettre un "pied à terre" (c'est le cas de le dire). Dans 2001, la seule fois où on voit des scènes du sol terrien, c'est dans la partie 1, avec les singes qui accèdent à l'état de conscience grâce au monolithe.
Ici, on te place des scènes sur Terre dès le début à notre époque, dans un endroit plein de satellites, et c'est ici que s'ouvre un contexte géopolitique dont l'utilité est vraiment à débattre...
Dans 2001, on aborde rapidement les nationalités, ce n'est qu'un détail. Le contexte, c'est la tension de plus en plus forte entre USA et URSS (l'arrivée au pouvoir de Reagan rend la chose crédible, sans doute). L'intrigue, durant un temps, est à peu près basée sur ça, jusqu'à ce que le vaisseau russe s'élance dans l'espace vers le Discovery. Après, on a l'impression qu'on remplit un peu le film avec cette histoire de tensions, d'embargo, etc.
La portée de ce contexte est faible pour l'histoire, et son utilité est toute relative, surtout par rapport aux éléments primordiaux que véhicule 2001...
Cette contextualisation, cette remise au centre de la société humaine moderne dans le film, empêche d'avoir un point de vue plus large, plus philosophique, empêche en somme d'atteindre les questions qu'on abordait dans 2001.
Par ailleurs, on vit cette tension au sein du Leanov (le vaisseau russe où embarquent les américains pour aller à la recherche du Discovery) et encore une fois, peu grande utilité si ce n'est remplir la bande.
Science-fictionnalisation (ça se dit ? peu importe)
J'adore la SF. Mais dans une suite d'un film où la SF n'est pas le point central... Mouais.
Le film démarre avec la phrase que prononce le professeur Bowman lorsqu'il rentre dans cette "dimension supérieure", "My god, it's full of stars !", et on tente d'en faire le centre du mystère qui entoure la disparition du Discovery pour les gens sur Terre.
Les gens, sur Terre, ne sont au courant de rien. Le but du lancement du Leanov, c'est une enquête dans le vaisseau fantôme avant que celui-ci ne s'écrase sur Io, dont le but est de déterminer la cause du dysfonctionnement de HAL que Bowman aura réussi à désactiver avant sa disparition.
Puis après on cherche à rationaliser l'histoire autour sur tout un tas de scènes de 2001 : le foetus spatial qui regarde la Terre, bah en fait, c'était Bowman. Les monolithes, c'est des vaisseaux spatiaux. Jupiter ? Un hangar à monolithe, dont la taille est vraiment relative, puisqu'il est à la fois assez petit pour être littéralement vidé par un millier de vaisseaux (même la Lune serait pas assez petite pour être vidée de telle manière), mais c'est assez grand pour se transformer en soleil après explosion.
Le satellite Europe, c'est un peu leur territoire, donc les aliens ils préviennent tout de même, en anglais tout à fait correcte: le reste c'est à vous, nous on reste sur Europe. Ma foi, ils sont sympatoche.
Tout ce qui faisait l'oeuvre de Kubrick, dans le sens où c'était une oeuvre au-delà de la science, de la compréhension, en somme une oeuvre métaphysique, se retrouve ici rationalisé au possible. Mais c'est pas tout !
Vulgarisation
L'oeuvre était visiblement trop compliquée pour être vendue comme suite au cinéma, alors on y introduit des codes "funs" qui permettent de rendre le bail attractif, tu vois le truc ?
Les complots "à l'américaine" : la mission est tellement secrète que même les personnes qui sont chargées de la mission ne sont pas au courant de tous les détails
Les russes sont bêtes et méchants : une patriote, un """" scientifique """ qui n'hésite pas à se jeter sur le monolithe pour la mère-russie, un autre qui joue très bien le rôle de "l'homme-décor"...
Le personnage censé être le personnage principal, l''opérateur de la mission dans 2001: on voit sa vie de famille, on s'intéresse à sa vie de couple, à la peine qu'il ressent de les quitter........... Bon dieu, c'est quand même la mission la plus importante de l'histoire de l'humanité, et t'as sa ménagère qui nous fait du boudin parce que le type lui dit qu'il part 6 mois dans l'espace...
L'informaticien à qui on cache des choses sinon il voudra pas laisser HAL mourir
L'ingénieur américain (j'ai reconnu le tueur de la trinité dans Dexter) qui se prend tout d'un coup à avoir peur du vide spatial, alors qu'on est déjà aux abords d'Io et du Discovery...
Je vais pas tout lister, mais en résumé on est très loin du prédécesseur en ce sens. On avait le sentiment, dans 2001, que c'était l'un des moments clé de l'humanité. On sentait toute l'importance de la mission du Discovery, on avait le sentiment d'être au coeur du destin de l'homme, celle qui regarde en arrière tout en marchant droit devant... Là, on est très loin de cette impression, ce film ne recréer pas ce sentiment, au contraire il le relativise.
HAL 9000
Qu'est-ce qu'il en a fait, de l'intelligence artificielle ? Bah il l'a noyé dans une sorte de complot du gouvernement américain assez flou...
Non non, HAL n'a pas acquis une conscience de soi et a décidé de se rebeller contre ses créateurs. Il n'était visiblement pas assez intelligent pour ça.
A vrai dire, il était visiblement tellement peu intelligent qu'il en est venu à faire le calcul suivant : si je tue les habitants de ce vaisseau, c'est pour ne pas compromettre cette mission... La pointe de la technologie, absolument.
2001 avec toutes ses questions avait fait de l'avenir de la robotique, de l'intelligence artificielle et de toute synthétisation de la vie un débat central, tellement bien abordé, avec un ordinateur de bord, HAL 9000, parmi les meilleurs personnages de l'histoire du cinéma, avec sa voix mythique, presque envoûtante... De ce côté là, 2010 détruit un mythe.
Du coup, destruction ou suite légitime ?
Pour moi, ce sera principalement destruction, mais tout n'est pas à jeter dans ce film.
Un argument en sa faveur, c'est la curiosité qui a suscité 2001. Forcément, même si on le sait tous qu'une véritable suite n'est pas possible à un tel chef d'oeuvre, on a forcément envie d'en voir une... En ce sens, on peut appréhender le film comme une tentative de donner une réponse, quitte à ce qu'elle ne soit pas forcément bonne, pour abreuver la soif de curiosité du spectateur.
Deuxièmement, même si c'est pas de la SF opportune, c'est toujours bon de voir un film de SF, d'autant que 2010 n'est pas forcément moche, les décors sont assez réalistes et il y a une certaine cohérence des mouvements, à titre d'exemple.
En outre, c'est toujours bon de voir Keir Dullea (Bowman) jouer un rôle important dans cette suite, quitte à ce que ne soit pas très clair, il a un très bon jeu d'acteurs et on pouvait craindre de ne pas le voir dans cette suite.
Finalement, 2010 s'analyse donc comme une suite logique illogique, rationnelle, "explicatrice", mais vulgaire et qui bafoue les codes de son prédécesseur.
Mais bon, franchement, est-ce qu'on pouvait attendre autant que 2001 ?