Aussi éblouissant visuellement qu'In the mood for love (peut-être même encore plus?), 2046 vient clore avec une touche décidément mélancolique la trilogie entamée plus ou moins officiellement avec "Nos années sauvages" puis, plusieurs années plus tard, "In the mood for love".
Il est clair que cet univers de science-fiction, inédit dans la filmographie de Wong Kar Wai et intelligemment distillé tout au long du film, confère à l'ensemble un charme indéniable qui permet d'éviter toute comparaison malvenue avec son grand prédécesseur. Monsieur Chow est toujours profondément marqué par cette femme qu'il ne revit jamais après une intense mais pourtant platonique relation (cf In the mood for love), quelques années plus tôt. Revenu de Singapour, il enchaîne les conquêtes, et contrairement à In the mood for love, il y a dans 2046 un érotisme extrême, torride, sublime, des corps qui se rencontrent et se confondent. Monsieur Chow écrit alors ce livre de science-fiction, 2046, inspiré par ce terrible amour perdu et aussi par la chambre qu'il partageait avec le personnage de Maggie Cheung quelques années plus tôt pour écrire un roman (malicieusement évoqué dans 2046, d'ailleurs). A 2046, on y va pour y retrouver ses souvenirs perdus, enfouis au fond de notre mémoire, et pourquoi pas nos secrets, ceux que l'on chuchotait autrefois dans le tronc d'un arbre. On n'est pas sûrs d'en revenir. Et Monsieur Chow, qui prend dans son livre les traits d'un Japonais en partance pour 2046, s'y perd, s'y retrouve, il y insère les femmes qui marquèrent sa vie sentimentale en faisant d'elles des androïdes.
Mais finalement, c'est bel et bien cette femme qu'il essaie de retrouver. Cette femme qui le hante, cette femme qu'il n'oubliera jamais, celle qui déambulait le soir dans les rues de Hong-Kong pour aller chercher son dîner, au ralenti, et au rythme du Yumeji's Theme dans In the mood for love. Wong Kar Waï fait d'ailleurs preuve d'une grande intelligence: Chow découvre enfin le vrai nom d'une de ses conquêtes, une femme au passé mystérieux, Su Li Zhen. Or, étrange coïncidence, on apprend que c'était également le nom de la femme qu'il aima tant jadis, qui dans un court flash back apparait effectivement sous les traits de Maggie Cheung dans le chef-d'oeuvre de 2000...mais pourtant, celle-ci s'appelait Madame Chang dans In the mood for love. A la manière de Desplechin, Wong Kar Waï établit un lien évident entre ses films, tout en brouillant les pistes et en s'offrant assez de liberté pour que l'on ne considère pas 2046 comme une suite stricte de son prédécesseur et de Nos années sauvages.
Car 2046 est bel et bien un film innovant, unique et rafraîchissant. Avec un choix de musiques tout aussi minutieux et génial, et une beauté tout aussi foudroyante, le film confirme ce que la fin d'In the mood for love laissait présager: Monsieur Chow, finalement, reste prisonnier de ce souvenir et ne parviendra jamais à en retrouver l'objet, la première Su Li Zhen/Madame Chang. Il ne sera finalement jamais parvenu à atteindre 2046...ou à en revenir ?
2046, terriblement mélancolique, est un chef-d'oeuvre à part entière, même si, probablement, aucun des films de ce magnifique cinéaste ne parviendra à égaler la grâce miraculeuse d'In the mood for love.
Wong Kar Waï est un des plus grands magiciens du 7ème art.