A travers les diverses histoires d'amour d'un écrivain hong-kongais, M. Chow, on découvre en même temps les diverses facettes que peut revêtir l'amour entre un homme et une femme. Celui-ci est matérialisé par la fiction : ce livre de SF, 2046, que Chow écrit. Un train se dirige vers 2046, dont on ne sait s'il s'agit réellement d'une année, d'un lieu, d'un concept, d'un lieu mental... 2046, c'est le lieu où on se rappelle de souvenirs perdus. On n'en revient jamais vraiment...
2046 représente une multitude de choses. Chacun pourra y voir ce qu'il voudra. Amour, désir, Chow crée ce monde puisqu'il ne peut acquérir la complexité de la vie qu'en la représentant dans un monde fictionnel, une construction mentale qui lui est propre, et dans laquelle il se projette. On le voit bien lorsque, amoureux de la fille de son propriétaire qui elle est éprise d'un Japonais, il se projette en Japonais dans ce train, éperdu d'une androïde aux traits de la fille du propriétaire... Mais cet amour sans lendemain reflète bien l'impasse dans laquelle se situe Chow, le réel. A travers la fiction de l'écriture, Chow cherche à concrétiser sa réalité, à la compléter presque. Ainsi cherche-t-il à donner un sens à ce chiffre récurrent dans sa vie qu'est 2046. Il n'apparaît finalement que comme une coïncidence, puisqu'il ne s'agit principalement que du numéro de chambres d'hôtel. Ce n'est donc que dans la création artistique qu'on peut lui donner un sens. Cela permet ainsi d'aborder l'oeuvre de Wong Kar-Wai comme une mise en abyme de la création artistique, tant littéraire que cinématographique.
Le film en lui-même est, tout le monde en convient, une prouesse esthétique. Revêtant certains des aspects du Kar-Wai des années 1990 (ralentis, caméra sensuelle et douce, souvent dérobée derrière un mur, musique lente et douce), 2046 innove pourtant par rapport à un film comme In The Mood for Love. Les jeux de lumière prennent le pas sur les jeux d'ombre (quoiqu'un des plus beaux plans, entre Chow et Su Lizhen, au moment de leurs adieux dans cette ruelle étroite et morne, soit caractérisé par le jeu des ombres), les jeux de couleur également. La lenteur est réellement un atout, ajoutant de la contemplation à des histoires d'amour passionnées, quoique diverses. On se surprend à rester béat devant tant de maîtrise du rythme, puisque les 2h10 du film sont relativement agréables. Sur le plan technique, Wong Kar-Wai nous prouve encore qu'il n'est pas le dernier des réalisateurs.
Et que dire de tous ces acteurs : Tony Leung qui n'en finit pas d'approfondir ces rôles de beau-gosse charmeur bien que torturé par les méandres de sa réflexion sur l'amour et la vie ; et toutes ces femmes, toutes plus belles les unes que les autres, vivant leur rôle. Le casting est on ne peut plus adéquat, et porte un film déjà bien étoffé par sa qualité scénaristique. Des méandres de tons, tantôt passionnés, érotiques, tantôt mystérieux, sombres : ils sont à l'image de cette inspiration qui anime Chow, qui ne sait pas quelle image il peut donner à son livre. On se régale devant tant d'hétérogénéité, qui fait qu'on peut très bien regarder un comme plusieurs films dans 2046.
Vraiment, une oeuvre diverse et puissante, que j'aurai plaisir à revoir !