Depuis quelques mois, l’objectif de Christopher Miller et Phil Lord semble avoir radicalement changé de dimension. Le premier volet de Tempête de boulettes géantes, qu’ils ont réalisé, n’avait en tout cas pas laissé présager ce qu’ils seraient capables de faire aujourd’hui. Grand bien nous a fait aussi de ne pas abandonner, comme certains, après le prometteur 21 Jump Street, première pierre d’une attaque à grande échelle contre le système hollywoodien et comédie potache réussie à de nombreux étages. S’il ne s’est pas fait ici, suite à l’énorme succès outre-atlantique du film, le déclic s’est sans doute trouvé dans la Grande Aventure Lego qui, malgré sa réputation de produit marketé à l’extrême, reste à l’heure actuelle l’une des plus belles surprises de l’année. A peine six mois après ce petit exploit, qui se penchait déjà sur le problème de la liberté artistique à Hollywood, le coup réalisé par 22 Jump Street est retentissant. Sans réel concurrent pour le titre de meilleure comédie de l’année, le nouveau film de Lord et Miller, en plus d’être diabolique d’efficacité, est aussi un dynamitage en règle du système de plus en plus industrialisé de Hollywood.

Comme la majorité des genres, la comédie est entrée depuis une dizaine d’années dans une ère de réalisme, dans le sens où elle voulait se faire plus proche de son public avec des thématiques marquées socialement et humainement. On a vu de tout : du meilleur (la bande à Apatow) au pire (l’arrivée du found-footage avec Projet X et d’autres navets), et 22 Jump Street, s’il n’est pas révolutionnaire, est un retour à l’essence de la comédie potache. En plus d’être bâti autour d’un univers pop de plus en plus solide avec des références dans quasiment toutes les séquences, le film des deux nouveaux patrons de la comédie est un exemple en termes de rythme, de mélange des genres et pousse dans ses derniers retranchements l’ambiguité autour des relations entre amis. La bromance (liaison des mots brothers et romance, qui est pratiquement devenue un genre dans la comédie américaine) de 21 Jump Street était touchante, celle de deux opposés réunis après la difficile période du lycée, tandis que celle de 22 Jump Street joue avec une virtuosité des codes de la comédie romantique. L’ensemble, hilarant de bout en bout, est un prolongement des thématiques soutenues par Apatow et les créateurs qui l’ont suivi, poussé par la puissance comique de Lord et Miller. Dans un moment de l’histoire du système hollywoodien où l’on accuse à tout va les producteurs et les studios de museler les artistes, 22 Jump Street est une bénédiction. Repoussant les limites du premier volet, se jouant de son statut de suite avec une auto-dérision hallucinante, il faut une séquence, claire, pour comprendre les enjeux et les origines du projet avec le monologue du dément Nick Offerman. Bien que 22 Jump Street reste un film dont certains décrieront avec le mot horripilant de « commercial », il reste en tous points lucide sur son statut et c’est ce qui lui permet de pousser tous les curseurs.

En tant que producteurs et acteurs, Jonah Hill et Channing Tatum, qui excellent encore, ne s’imposent aucune limite sur un plan visuel et narratif. Plus qu’une succession de gags mal-enchevêtrés, c’est la variété des situations proposées par 22 Jump Street qui en fait une expérience mémorable et salvatrice. Que les séquences soient comiques ou même lorsqu’elles mettent en scène la comédie d’action qu'est aussi 22 Jump Street (comment ne pas être époustouflé par la scène de bagarre de Channing Tatum sur la plage), c’est aussi ce que cache le film, en sous-texte, qui impressionne. Avec sa savante et furieuse critique du système hollywoodien, et la construction narrative de plus en plus proche du format sériel qu’emprunte les sagas à succès, 22 Jump Street est parvenu à faire mieux que son prédécesseur en ne négligeant aucun point, et surtout en ne se privant de rien. Le résultat, immersif, jouissif et monumental (enfin un blockbuster, cet été, qui revendique sa nature de film estival et la démesure qui va avec) souligne un peu plus l’importance que peuvent avoir Chris Miller et Phil Lord dans un Hollywood proche de la panne artistique sèche. Avec cette nouvelle métafiction, dont le point d’orgue est l’imparable générique de fin, il se pourrait même que leur oeuvre devienne très vite l’une des plus intéressantes à suivre à Hollywood, du fait de son ton libertaire et de son auto-dérision ultra-marquée.
Adam_O_Sanchez
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le 28 août 2014

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