La dernière seconde
24 frames ce sont 24 fragments, 24 plans fixes de 5 minutes mis bout à bout. Ces 24 plans ce sont aussi les 24 images qui constituent une seconde de cinéma. L’ultime seconde de cinéma, le dernier...
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Ce dernier film de Kiarostami est né d’une idée toute simple autant qu’elle est éminemment cinématographique : Puisque « Le cinéma c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde » pouvait-on entendre dans Le petit soldat, de Godard, le cinéaste iranien se demande ce qu’il advient de vingt-quatre images en deux heures, sitôt qu’on y ajoute ce qu’on imagine avoir eu lieu avant ou après ces images capturées. Hormis la toute première « frame » qui donne vie à Chasseurs dans la neige – le tableau de Bruegel qui au cinéma inspira déjà Tarkovski pour Zerkalo ou Lars Von Trier qui le faisait se consumer dans Melancholia – les vingt-trois suivantes s’attèlent à faire se mouvoir vingt-trois photos prises par Kiarostami lui-même.
Idée aussi géniale sur le papier – d’autant qu’elle semble répondre à trois autres de ses films, plus conceptuels et expérimentaux : Shirin, Five et Ten – qu’elle s’avère in fine assez peu stimulante. Je m’explique. Kiarostami, pour moi, c’est avant tout le reste : Où est la maison de mon ami ? Soit l’un de mes films préférés. Mais j’aime aussi beaucoup Close-up, Le goût de la cerise ou Copie conforme. En fait, le problème, mon problème, c’est que je n’ai vu aucun de ses films « expérimentaux ». En somme, 24 frames m’apparait davantage comme un objet d’art ultra-conceptuel, une sorte de caprice de vieux sage, je le replace difficilement dans la filmographie du cinéaste iranien, voilà pourquoi, très probablement, il me touche moins. Sans doute ai-je tort et y reviendrai après les découvertes ultérieures de Five ou Ten. Mais en l’état, je ne retrouve pas tellement (mon) Kiarostami là-dedans.
C’est un joli film, certes, parfois ludique – enfin surtout pour mon chat, qui ne quittait plus l’écran des yeux – puisque chaque apparition, chaque mouvement aussi discrets soient-ils parfois, violents plus rarement, ouvrent sur une infinité de possibles, de petites choses à observer plutôt que d’autres, au choix du spectateur, béat ou attentif. Mais il manque peut-être une histoire pour tisser ces morceaux entre eux. Chaque frame entre idéalement dans un tout puisqu’on y retrouve souvent la neige, les oiseaux, les arbres, la mer et une présence humaine, parfois discrète (la vitre d’un véhicule, un rideau) parfois brutale (un coup de feu, le vrombissement d’un moteur) parfois imposante (une chanson, un grillage). Mais ça manque d’une résonnance forte, d’une émotion qui fera sortir le film de son confort. C’est le son qui jaillit dans 24 frames. C’est le son qui stimule, c’est déjà ça.
J’en viens à un constat un peu amer, en somme : N’est pas Benning qui veut. D’une part, c’est sa marque de fabrique, à Benning, ce type de plans fixes, difficile de lui reprocher d’être conceptuel et capricieux puisqu’il semble ne pouvoir utiliser le cinéma que de cette manière-là. Chez Kiarostami la question se pose. Et elle se pose tellement qu’il s’en passe des choses dans ses plans, contrairement à ceux de Benning qui gardent leur pouvoir de quotidienneté, de normalité, de continuité. Dans 24 frames, on peut voir les cimes de deux peupliers sur le point d’être tronçonner. On les verra disparaitre, on les entendra tomber. Chez Benning, si le plan change lors du passage d’un train, du souffle du vent ou de la traversée d’un nuage, ce changement est poétique, jamais politique, disons. L’immobilité n’est jamais statique chez lui aussi et débouche toujours sur des surprises, des sursauts, des pas-de-côté mais jamais de façon aussi franche.
Lignes, motifs, apparitions se répondraient donc trop ostensiblement ? Je pense que ma principale gêne vient de là. A moins qu’il ne s’agisse d’un problème lié à l’image. Kiarostami ne ment pas sur son dispositif, d’emblée il joue du numérique pour faire bouger la toile de Bruegel, voir la fumée sortir des cheminées, de la neige tomber, des oiseaux voler, des vaches traverser le plans. Il faut accepter le faux, l’ajout, le collage numérique pour accepter de naviguer dans 24 frames. Ces trucages brisent-ils tant l’élan poétique ? Pour moi, oui. Je préfère quand Sokurov travaille directement sur pellicule dans Mère et fils, en déformant les contours et les angles. Là ça m’évoque plus les caprices de Vincent Dieutre ou Kirill Serebrennikov quand ils gribouillent des pigeons ou des coloriages sur les plans de Jaurès ou Leto. Ça me sort du film plus qu’autre chose, moi. Toutefois, 24 frames a ceci de particulier et émouvant, a ceci pour lui en somme, qu’il est un film posthume. Il y a bien quelque chose d’un artiste attendant la mort là-dedans, dans ces images mortes qu’il faut animer à tout prix.
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le 2 sept. 2019
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