C’est le premier long-métrage de Nobuhiro Suwa, et déjà quelle maîtrise ! Il contient tout l’ADN de son cinéma, qu’il déclinera par la suite de différentes façons : incapacité à communiquer, difficulté de la vie de couple, caractères perturbés qui oscillent entre petits bonheurs et profonde tristesse…
Son cinéma est déroutant mais aussi tellement prenant, tellement sincère… Je le vois de plus en plus comme le Cassavetes japonais : cette caméra invasive mais qui n’est pas non plus synonyme de voyeurisme, la frontière toujours brouillée entre fiction et documentaire, la mise en abyme du médium… La latitude laissée aux acteurs y est aussi pour beaucoup, avec cette volonté de laisser une large place aux improvisations, parfaitement maîtrisées.
Suwa a le don pour filmer le malaise, mais un malaise qui ne met pas le spectateur mal à l’aise justement. Un malaise qui fait réfléchir, proactif quoi. La scène de la dispute avec les tomates par exemple : je me la suis revue dans la foulée tellement elle est magistrale à tous les niveaux ; elle se termine et on ne sait pas si on doit couper le film parce que c’est juste trop vrai ou s’il faut pleurer un bon coup et continuer !
Les dialogues c’est la même chose, toujours là où on ne les attend pas, et pourtant ne tombant jamais dans l’absurde ou le bavardage petit-bourgeois… Les hésitations, les « ok » à répétition, les « je ne sais pas », les silences, les crises de nerf voire de folie passagère qui se poursuivent dans le contre-champ puis dans le hors-champ quand plus rien ne va… Ce sont les codes sociaux qui parlent alors à notre place, et quelle belle manière de les mettre en évidence, de les trahir pour mieux les exorciser. Suwa révèle ce qui fâche, la fatalité de nos existences, leur tragique inutilité.