Et le fou prend le roi...
Le meilleur film fantastique que j'ai vu ces dix dernières années.
C'est grâce à cette adaptation que j'ai pu découvrir Patrick Sénécal, écrivain fantastique canadien très cool et prof de français à ses heures. Il signe ici l'adaptation de son roman, réalisée par Eric Tessier qui avait déjà adapté une de ses œuvres auparavant (le moyen Sur le Seuil). Ça commence de manière plutôt classique, comme un thriller psychologique avec une famille vampirisée par un mari serial-killer qui ne sait plus comment réagir face à l'intrusion d'un jeune homme dans son domaine.
Beaulieu (Normand d'Amour, impressionnant), c'est l'ogre dans son château, qui règne sur son domaine d'une poigne de fer. Il est un honnête chauffeur de taxi, sa femme Michelle est l'image même de la mère au foyer soumise qui vit pour élever sa petite fille muette aux grands yeux sombres. Et il y a la fille aînée rebelle, qu'il essaie d'élever dans les règles qui structurent sa vie, dans la morale. Et puis il y a Yannick (Marc-André Grondin, impeccable), dit Le Jeune, arrivé là par hasard après une simple chute de vélo, qui va confronter Beaulieu à ses dilemmes. Le jeune a tout vu. Il sait. Mais au fond il n'a rien fait de mal. Il est "Juste".
Beaulieu ne peut pas le laisser partir, mais sa présence créé une tension terrible dans la famille. Que faire ?
C'est un peu plus soft que le roman, les scènes de violence sont moins graphiques et surtout Senécal a viré la dimension sexuelle sans doute trop crade pour être montrée à l'écran (production Québec, quand même). C'est pas indispensable pour comprendre le truc mais ça nuance quand même vachement le personnage de Michelle qui perd toute son ambiguïté.
En échange il a apporté de très sympathiques trouvailles visuelles dans la représentation de la folie des personnages, qu'Eric Tessier filme avec talent (je suis content de voir qu'il a abandonné les tics de mise en scène clipesques qui gâchaient Sur le Seuil). Bon y'a quelques passages où on sent qu'il a essayé d'ajouter un peu d'action pour faire tenir l'intérêt sur deux heures, genre le passage de la hache qui est totalement absent du roman, c'est du suspense facile, et un peu foireux. Mais à côté il y a une vraie ambiance, et des détails plus inventifs, genre une tâche de sang qui se développe bizarrement sur le mur de la "cellule" pour montrer le personnage qui extériorise sa peur, des parties d'échecs dans un décors étrange à souhait, ces scènes là sont vraiment réussies.
Et c'est ça que j'apprécie tout particulièrement dans l'univers de Patrick Senécal. Cette facilité à faire basculer un petit fait divers à priori réaliste dans une autre dimension, de façon très feutrée, très méthodique. Qui va beaucoup plus loin qu'il ne laisserait imaginer à première vue en faisant apparaître des éléments symboliques, à la limite du fantastique, dans le récit. Je me doute bien que le coup du jeu d'échecs bien explicite en agacera plus d'un mais c'est au fond le ressort principal de l'œuvre, et en ce qui me concerne je l'ai trouvé très bien traité.
Et le final est superbe.