Ethic fail

Dans une actualité déjà saturée par les événements les plus tragiques, l’arrivée de 5 septembre ne sera pas forcément accueillie avec engouement. L’angle proposé en fait pourtant un film passionnant, puisqu’il dissèque un véritable cas d’école en termes de traitement médiatique.

Les JO de Munich en 1972 sont les premiers à être retransmis par satellite, devant une audience planétaire qui avoisine les 900 millions de spectateurs. Et quand la tragédie de la prise d’otage vient rompre la trêve olympique, le travail des journalistes va prendre une nouvelle tournure.

Toute l’intelligence du film consiste à épouser le point de vue de cette régie, déjà sous l’euphorie de la retransmission des épreuves, et qui se retrouve confrontée à une Histoire s’écrivant en direct. 50 ans après les événements, Tim Fehlbaum prend le temps de raconter une sorte d’archéologie des médias, où le matériel analogique détermine bien des enjeux. Micros posés sur les téléphones, déplacement physique d’une caméra de studio de plusieurs centaines de kilos sur les lieux mêmes des événements, échanges par talkie walkies : les journalistes font avec les moyens du bord, et le film limite le spectateur à cette vision incomplète, où le hors champ reste souvent à l’état sonore ou fragmentaire.

Il ne s’agit pas seulement de comparer notre époque de l’infobésité à un âge d’or durant lequel la capture de l’information serait comparable à une quête du Graal. Le film s’interroge aussi sur les nouveaux moyens mis à la disposition de journalistes qui vont se retrouver en position d’apprentis sorciers. Le récit propose ainsi un léger pas de côté par rapport aux productions traditionnelles, faisant toujours des protagonistes des figures héroïques par leur statut de pionniers. Si l’euphorie est parfaitement palpable, et la mise en scène par la caméra à l’épaule pertinente pour la restituer, l’essentiel consiste surtout à faire émerger les questions cruciales d’éthique que la situation va soulever. Peut-on se préparer à filmer une exécution en direct ? Ne donne-t-on pas des informations aux ravisseurs en diffusant les images des autorités ? Doit-on sacrifier à la rigueur du recoupement des informations pour satisfaire aux exigences de l’immédiateté informationnelle ?

Le récit, presque choral, fait circuler les actions et les prises de décision, et dissémine les réactions ainsi que certains traits de caractères (racisme, antisémitisme, hiérarchie professionnelle, sociale et de sexe) qui évitent tout manichéisme, et prend le pouls d’une action improvisée avec laquelle on pourra par instant prendre ses distances, notamment sur le plan moral.

La progression du récit et l’erreur journalistique finale vient accentuer cet angle : le dénouement heureux annoncé à l’antenne n’est pas un twist à destination du spectateur, qui connait l’issue tragique de l’événement. Le surplomb et le recul historique dont il bénéficie alors lui permet de prendre en considération les écarts provoqués par l’urgence de l’éternel présent médiatique, et dialogue avec une inquiétude vitale sur les ravages que celui-ci provoque dans notre ère de la post-vérité.

(7.5/10)