5 Septembre
6.9
5 Septembre

Film de Tim Fehlbaum (2024)

Ce film passionnant, construit comme un vrai thriller, reconstitue avec fidélité comment la chaîne américaine ABC Sports, qui couvrait pour la première fois au monde un événement sportif en direct, a été amenée à suivre, également en live, la fameuse prise d'otages de 11 athlètes israéliens lors des JOs d'été de 1972 à Munich, tout sauf un hasard dans un pays ayant fait régner la Shoah, terminée depuis à peine plus de 27 ans.

Par une reconstitution minutieuse de la régie de production de la chaîne, avec la lourdeur des équipements télévisuels analogiques de l'époque, le positionnement des moyens de diffusion au village olympique devant le lieu d'hébergement de ces athlètes, le film aborde en temps réel tous les problèmes d'éthique que cela a posé : la concurrence entre chaînes et la prise de risque de diffuser ou non des images et des informations montrant la mort en direct, dans un voyeurisme sordide, et souvent fausses en fonction de la fiabilité des sources. (force est de constater que rien n'a vraiment changé de ce point de vue depuis hélas avec la guerre des fake news).

Pour cela, le réalisateur suisse Tim Fehlbaum a su mixer avec beaucoup d'ingéniosité des images d'archive de la chaîne ABC Sports lors du jour J.

Le thème de cet attentat avait déjà été abordé par des films comme l'américain Munich de Steven Spielberg en 2005, mais qui se concentre sur l'opération de vengeance du Mossad après les événements, ou l'allemand München 72 - Das Attentat de 2012, relatant les faits de manière quasi-documentaire.

Par une co-production germano-américaine originale et pertinente, le film 5 Septembre apporte avec justesse et suspense une vision combinée des enjeux de ABC Sports et ceux des autorités allemandes qui tentaient de stopper l'attaque du groupe terroriste palestinien Septembre Noir, visiblement pas au courant qu'ils étaient filmés sur leur balcon (alors que depuis les terroristes savent jouer avec les médias pour mieux faire aboutir leurs revendications). Ce point de vue fort et haletant nous est proposé par des échanges incessants entre deux personnages clé du film : Geoffrey Mason, le directeur de la régie de production, (interprétation brillante de John Magaro), et Marianne Gebhardt, seule journaliste du plateau connaissant l'allemand et qui traduisait au fil de l'eau les informations de la radio officielle allemande, interprétée avec sensibilité et émotion par une excellente Leonie Benesch, cette actrice allemande vue en 2024 dans La salle des Profs.

Mon émotion devant ce film vient en grande partie du fait que j'ai assisté aux JOs de 72 à Münich, pendant la semaine précédent le 5 septembre; je me suis souviens d'une fête magnifique célébrant l'amitié des peuples enfin pacifiés, où j'avais été invité par des amis allemands chez qui j'allais tous les ans, jeune collégien, pour apprendre l'allemand et ainsi faire fructifier la fameuse amitié franco-allemande proclamée comme porteuse d'avenir dans le traité de l'Elysée en 1963 par De Gaulle et Adenauer. A l'époque, j'ai ainsi pu mesurer l'effroi qu'a provoqué en Allemagne cette catastrophe, un véritable Septembre Noir pour le pays hôte tout entier, où les souvenirs de la Shoah sont immédiatement réapparus, 27 ans à peine après sa fin.

Dès le début, le film adresse d'ailleurs avec justesse la question des athlètes juifs avec les 7 médailles d'or en natation de Marc Spitz, cet américain et ensuite cet autre athlète américain à double nationalité qui choisit de concourir sous les couleurs d'Israël, garantissant ainsi ses chances de qualification et qu'on retrouve avec horreur parmi les 11 otages.

Mais ce que nous fait bien comprendre le film, par son double point de vue, c'est la situation de l'Allemagne de l'époque concernant ses forces de Défense limitées par les alliés après-guerre (sous le contrôle stricte de l'Otan avant la réunification de 1990), et sa volonté de ne pas imposer une sécurité trop pesante sur ces JOs, par opposition à celle des JOs de Berlin en 1936, sous l'ère nazie, pour faire de ces jeux un grand moment de réconciliation entre les peuples. Cette impréparation, et l'incapacité compréhensible des autorités de monter une équipe anti-terroriste digne de ce nom, apparaît au fil des traductions par Marianne des informations officielles de la radio, l'actrice Léonie Benesch affichant avec sensibilité, honte et dépit, comment l'inévitable va se produire. Et à la question qu'on lui pose à la fin : "vos parents étaient-ils au courant de la Shoah ?", elle répond : "eh bien demandez-leur..."

Plus de 50 ans après, ce film revêt une forme de catharsis pour le peuple allemand, qui n'avait pas besoin à l'époque d'une telle humiliation, quelque soient les revendications affichées par les terroristes palestiniens envers Israël. Mais dans un tel contexte, pouvait-on en vouloir à l'Allemagne ?

Un thriller historique utile pour comprendre bien des choses du contexte géopolitique européen de l'époque, à voir absolument par toutes les générations.

Azur-Uno
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