Belfast, 1971. Déchirée par les factions armées catholiques et protestantes, la ville irlandaise vit au son des bombes, des cris et de la révolte. Un conflit destructeur dont l'absurdité meurtrière saigne les rues, têtes brûlées comme civils, sans distinction d'âge. Envoyé sur place pour tempérer la fouille d'un appartement aux mains des cathos, un groupe de soldats anglais peine à maintenir l'ordre. La situation vire à l'émeute, et l'un d'entre eux se retrouve isolé. Le début d'une longue nuit en territoire ennemi...
On peut reprocher un certain manque de détails à '71, l'exposition du contexte se résumant à un court briefing hors-frontières irlandaises. Pas de carton explicatif, ni en début ni en fin de métrage, qui se concentrent sur un "avant" et un "après" dont la brièveté coupe court au sentimentalisme. Une preuve d'humilité plus qu'autre chose : cliffhanger de 90mn, '71 est constamment sous tension, englué dans une Belfast ultra crédible qu'une photo sublime, proche du Roger Deakins de Skyfall, écrase de teintes ambrées envoûtantes.
Propulsé par une caméra à l'épaule impeccable, le film prend pour héros un personnage en position de faiblesse, sans charisme. Frustrant dans le cas d'un actioner héroïque, la démarche est ici sacrément payante. Pensé d'un bout à l'autre comme une expérience topographique, '71 profite d'une mise en scène tendue comme un arc, ne sacrifiant jamais son décorum sur l'autel du spectaculaire. Témoin ce personnage secondaire badass au franc-parler sidérant, et dont le verbe sonne juste malgré son jeune âge.
Un gamin qui évoque immédiatement le Roche du roman Eureka Street, le chef-d'oeuvre de Robert McLiam Wilson trouvant en '71 un complément bienvenu. S'il n'a jamais la richesse du bouquin, le film en montre un aspect souvent laissé en sourdine : la violence immédiate du conflit, à laquelle le onzième chapitre, bouleversant, était intégralement consacré. '71, de son côté, laisse peu de place à la vie civile. Authentique survival dans une ville à feu et à sang, il dépeint uniquement des actes conflictuels.
Si le film mérite plutôt un 7/10, sa maîtrise bluffante ne laisse jamais deviner qu'il s'agit-là d'un premier long, plutôt le dernier coup d'éclat d'un cinéaste aguerri. C'est dire si l'attente va être longue avant le prochain Yann Demange, à qui il ne manque qu'un contexte plus affiné pour passer de cet excellent film d'action à un vrai grand film politique. En l'état, difficile pour moi de faire la fine bouche devant un aussi beau morceau de cinéma.