’71 est une révélation. Ou plusieurs en fait. Celle d’un réalisateur, inspiré, brillant et percutant. D’un acteur, à la surface de jeu qu’on ne lui soupçonnait pas. Et d’un scénario qui démontre qu’on peut parler d’un conflit compliqué de manière simple et éclairée.
Nerveux de bout en bout, ’71 nous plonge littéralement dans les rues dévastées de Belfast aux heures les plus explosives du conflit anglo-irlandais. Des images saisissantes de guérilla urbaine accompagnent la fuite du soldat abandonné, accentuant cette impression anxiogène de no man’s land où la mort peut surgir à chaque instant. Yann Demange prend Belfast comme décor, mais on comprend bien qu’il pourrait s’agir de n’importe quel conflit civil contemporain (Afghanistan, Ukraine, Palestine…). Plus que le contexte politique, il s’attache à montrer l’impact de la guerre sur ses participants, directs ou non. Et il le fait avec un talent assez éloquent.
Sa mise en scène riche et percutante, donne du corps et du coffre aux combats, elle rend d’emblée tangible ce jeu du chat et de la souris létale, une chasse à l’homme qui ne peut se terminer que dramatiquement. Le seul petit reproche qu’on pourrait lui faire, c’est une caméra un peu trop frénétique lors des courses poursuites. Hormis cela, les plans s’enchaînent naturellement et avec fluidité, baignés dans un éclairage superbe et offrent au spectateur des images brûlantes, l’immergeant concrètement au cœur des combats.
Outre cette réalisation virtuose, ’71 se démarque par un scénario très lisible et compréhensible malgré la complexité du conflit. Les positions de chaque protagoniste sont clairement identifiées, si bien que les personnages prennent immédiatement de l’épaisseur, à travers leurs convictions, leurs traîtrises, leurs faiblesses. Demange tire le meilleur d’un point de départ somme toute classique, celui d’un individu lambda jeté dans une situation extrême sans y être vraiment préparé. Il y parvient grâce à sa mise en scène d’un réalisme saisissant, mais aussi en s’appuyant sur la performance totale de Jack O’Connel, qui dépasse la rage animal qui animait son personnage dans Les poings contre les murs. Son interprétation balaie un spectre d’émotions plus vaste, mais conserve le magnétisme inné de l’acteur. Que ce soit dans la détresse ou la fureur, la peur panique ou l’instinct de survie, son visage est en permanence habité d’une bouleversante intensité.
Le film, et plus encore son héros, baigne constamment dans une violence émanant de toute part, l’horreur étant autant subie que provoquée par chacun des clans. L’ensemble délivre une tension pétrifiante qui ne retombe que lors de brèves respirations vite balayées par des scènes choc, assénées comme autant de claques d’une brutalité inouïe.
Ce thriller inattendu est une expérience de cinéma éprouvante mais exaltante. On en sort groggys, mais convaincus et bluffés par la somme de talents qui s’en dégage.
Impressionnant de maîtrise pour un premier film, aussi bien formelle que narrative, ‘71 s’impose d’ores et déjà parmi les meilleures propositions de l’année et comme une référence du film de guérilla urbaine.
A suivre, définitivement.