Alors que le trafic de drogues est un fléau qui, si l'on peut dire, "fait la une des journaux" depuis des décennies, notre siècle sera sans doute encore plus marqué par l'expansion du trafic d'êtres humains, que ce soit en liaison avec des réseaux de prostitution, ou - de plus en plus - de travail forcé (ce qui confirme que l'esclavage, sur lequel le travail de reconnaissance de leur culpabilité des pays occidentaux est loin d'être achevé, reste une activité humaine florissante), et surtout de passage clandestin des frontières. Comme beaucoup de maux sociétaux, sa source en est la pauvreté endémique d'une large part de la population de notre planète, ou, plus exactement, les écarts obscènes de richesse entre régions du monde, entre pays, ou seulement entre campagnes et cités.
Ce serait une erreur de considérer que "7 Prisonniers" traite d'un problème spécifiquement brésilien, même si, en effet, les écarts socio-économiques restent extrêmes au Brésil : il y a fort à parier que les Paulistanos qui mènent leur vie "normale" dans les rues de São Paulo, métropole similaire à une grande partie des cités occidentales, ont découvert le film d'Alexandre Moratto avec le même sentiment de surprise, d'horreur et d'incrédulité que nous aurions nous, en réalisant que des pratiques similaires ont bel et bien lieu en bas de chez nous, à Paris, Marseille ou Lyon.
"7 Prisonniers" n'est que le second long-métrage, après "Socrates, garçon des rues", de Moratto, qui n'est donc pas encore reconnu chez nous comme l'espoir qu'il représente pour un cinéma brésilien qui délaisse l'efficacité commerciale à l'américaine et retrouve ses racines politiques et sociales : de la violence baroque du Cinema Novo de Glauber Rocha aux réflexions abstraites de Kleber Mendonça Filho, en passant par les documentaires sensibles de Walter Salles, le réalisme social, souvent enchanté par la poésie, a toujours constitué le meilleur de la production brésilienne. Moratto nous raconte ici l'odyssée tragique d'un jeune homme qui quitte sa campagne où la vie est rude - mais, sans tomber dans aucun cliché d'ailleurs, d'une belle richesse humaine -, pour l'illusion de la réussite à São Paulo, pour se retrouver prisonnier, ou plus exactement, esclave d'un réseau mafieux exploitant - entre autres - des décharges permettant le recyclage des métaux.
Si la première partie du film suit le parcours finalement - et malheureusement - très classique de Mateus, un "migrant" qui se voit progressivement privé de son argent, de ses papiers, puis de son identité et de sa liberté, c'est véritablement dans la seconde partie du film que le propos de "7 Prisonniers" surprend, s'affine, gagne en ambigüité et en pertinence. En décidant de gagner la confiance de ses geôliers grâce à son intelligence, Mateus va découvrir que la "casse" où il travaille n'est qu'une toute petite partie d'un système qui remonte très haut dans la structure sociale, incluant la police et des politiciens...
La force du film repose avant tout sur la subtilité de son interprétation, que ce soit pour Mateus (le jeune Christian Malheiros, déjà "vedette" de "Socrates" fait passer énormément de sentiments complexes sans avoir beaucoup de lignes de dialogues) ou, surtout, pour le personnage passionnant de Seu Luca, qui permet au grand Rodrigo Santoro de confirmer son talent, mêlant ici savamment une noirceur de l'âme terrifiante avec des éclairs d'humanité qui s'avèrent essentiels au récit.
La mise en scène de Moratto, sans chichis, adopte souvent la neutralité du documentaire, permettant au spectateur de se faire sa propre opinion sur la trajectoire de Mateus, et laisse le temps à chaque personnage, même le plus secondaire, d'exister à l'écran. Cette modestie apparente n'empêche aucunement "7 Prisonniers" de pouvoir être regardé comme un sorte de thriller psychologique puissant, dont les 90 minutes passent très (presque trop) vite.
"7 Prisonniers" se retrouve dans quelques unes des listes des 10 meilleurs films de 2021 aux USA, alors qu'il n'a pas été remarqué en France : sans doute, aurait-il mérité une véritable sortie en salles pour ne pas passer aussi inaperçu.
[Critique écrite en 2022]
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