Excès de vie.
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Entrée modeste par la petite porte du 16mm et du film intimiste pour Jonah Hill, Mid90’s explore une époque et un milieu, celui des jeunes skateurs déjà largement portraiturés dans le cinéma indépendant américains.
L’ambition première se veut celle de l’authenticité : le film raconte moins une histoire qu’il ne restitue l’atmosphère d’une période particulière, celle de la jonction entre l’enfance et l’adolescence par l’entremise de Stevie, jeune garçon qui va s’intégrer à un groupe d’ados aussi sympathiques que borderline. Si le récit initiatique fonctionne, c’est parce qu’il parvient à trouver un point d’équilibre subtil entre la subjectivité forcément illusoire du jeune protagoniste et un surplomb qui prendra soin de ne jamais porter un jugement.
Alors qu’on s’attache forcément à cet épanouissement lui permettant une émancipation et un regard émerveillé sur un nouvel univers, le récit n’occulte pas pour autant les dérives possibles, le décalage entre son âge et les gens qu’il fréquente et qui ne lui poseront pas les limites nécessaires.
Cette ambivalence n’est pourtant pas le terreau des ressorts dramatiques traditionnels, qui pourraient si aisément conduire vers les montagnes russes d’une trajectoire en montagnes russes. La ligne de crête de Mid90’s est ténue, modeste, à l’image de cette relation au grand frère, dans laquelle la violence et le silences, les humiliations et les sourires embarrassés captent avec force une complicité malhabile, imposée, mais de laquelle pourra jaillir tout de même un sentiment irremplaçable.
Jonah Hill a la première sagesse de s’en remettre entièrement à ses jeunes acteurs, qui font un travail admirable : dans leur spontanéité, l’accès qu’ils donnent aux masques propres à leur âge tout comme à leurs failles, distillées à dose homéopathique, et permettant, sans aucune pesanteur, un portrait social des oubliés de l’Amérique, aussi branchés que délaissés. Les répliques fusent, l’oisiveté et l’inanité amusée des conversations est restituée avec brio, tout comme les élans de révolte et les conduites ordaliques visant à un illusoire dépassement de soi-même. Le personnage principal cristallise ainsi toutes ces tendances, lui qui veut aller plus vite que les autres, au risque d’un certain danger (que rappelle d’ailleurs son surnom, SunBurn), mais ne peut s’empêcher d’être la gentillesse incarnée, (jolie motif d’apprentissage que ce « merci » qu’il pense « faire gay ») cette part d’enfance qui reste encore en lui et qui fera constater une fille conversant avec lui : « Your’e at that age before guys become dicks ».
La réalisation n’a plus qu’à accompagner le mouvement des skateurs, et Jonah Hill s’en sort très bien. Soutenu par la compilation idéale des 90’s (Wu-Tang Clan, Pixies, Nirvana, A Tribe Calles Quest et consorts), la caméra fait corps avec ses personnages, au sein d’un cadre étriqué (le 16mm) qui suit le mouvement toujours renouvelé de gamins en mouvement perpétuel. Sommaires, jump cuts, ellipses synthétisent à merveille un temps fondé sur le renouvellement et la lente maturation, sur une durée aussi modeste (1h25) que dense.
Si l’on peut craindre que les automatismes de l’écriture ne reprennent leurs droits dans le dernier quart d’heure (crise parentale, accroissement des comportements à risque), le récit prend soin de ne pas rester sur ces pics, laissant la vie quotidienne reprendre ses droits, à l’image de ce film en abyme qui résume à lui seul l’intention du jeune réalisateur : porter sur le passé un regard sincère et finalement aussi émerveillé que celui de son personnage, dont l’enthousiasme à fleur de peau ressuscite les temps perdus.
(7.5/10)
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Créée
le 26 avr. 2019
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