Pour sa première réalisation, Jonah Hill creuse et contemple la jeunesse américaine des nineties, irrémédiablement associée à l’effondrement des mœurs et le déclin de la morale, à qui il redonne ses lettres de noblesse dans une poésie urbaine en 16mm.

Un été du milieu des années 90 à Los Angeles. Les rayons du soleil se fracassent sur les baies vitrées d’une maison pavillonnaire. Au-dedans, Stevie (Sunny Suljic), treize ans, se prend une volée de coups par son grand frère (Lucas Hedges), bien pus âgé, en témoigne sa corpulence et sa force. La tyrannie exercée par son aîné est rude, mais Stevie aime son frère. Il en est même fasciné, à tel point qu’il ose pénétrer dans la sacro-sainte chambre de celui-ci pour y contempler ses CD, Air Jordan et autres affaires qui font de lui un « grand ». C’est décidé, il en deviendra un cet été.

Pour sa première derrière la caméra, Jonah Hill nous offre une chronique nostalgique, empreinte de violence et de grâce, d’une enfance qui se mue en adolescence au rythme des observations et expériences. Le sujet, qu’il décide de capturer en 16mm, lui va comme un gant. Il est de cette jeunesse américaine des nineties, que d’aucuns ont souvent associé aux notions d’indécence, de perversité et de violence dévergondée. La Trash TV, la culture belliqueuse ancrée jusque dans le marbre constitutionnelle, Marilyn Manson... Chacun ira de sa thèse pour expliquer cet enragement juvénile, qui atteindra son apogée à un certain Woodstock 99’. Avec 90s, Jonah Hill nuance le propos, contrecarre les attentes sur le sujet et explore « l’âge bête » avec la subtilité et la clairvoyance d’un auteur.


Young, wild and skate

Aux portes du troisième millénaire, c’est la planche à quatre roues qui est à la mode. Stevie, lors d’une de ses déambulations dans les quartiers modestes, tombe sur quatre jeunes, de quelques années plus âgés, qui musardent au fond d’un magasin de skate. Il s’attache à l’impudeur de leurs discussions et décide de troquer quelques-uns de ses biens contre la vieille planche à roulettes de son frère. Elle est ringarde, mais elle fera l’affaire pour se rapprocher du groupe.

Avec 90s, Jonah Hill met mélancoliquement en branle les mécanismes de la quête d’identité et de l’intégration dans un groupe. Il va falloir élever ses capacités pour répondre favorablement aux exigences sociales de Ray, FuckShit, Ruben et Fourthgrade. Ici, on jure, on fume, on s’habille comme Tony Hawk et on s’amuse des habitus des différents peuples qui composent l’extraordinaire mosaïque étasunienne. Une Nouvelle Amérique se dessine et elle a l’attention de s’affranchir d’un ordre archaïque et oppressif, incarné par les générations antérieures. Les règles changent, et avec l’irrésistible ascension de Stevie dans la bande, ce dernier trouvera un écho plus intime à cette volonté d’émancipation. Peu à peu, il rejette l’inféodation à son frère, victime de sa solitude, qui ne cesse de le rouer de coups, puis de sa mère (Katherine Waterston) , davantage préoccupée par ses conquêtes sexuelles que par ses fils. Le père, lui, n’est pas présent et aucune mention n’est faite de lui. Alors Stevie skate, seul dans sa cour ou dans les confins bétonnés de Los Angeles avec ses nouveaux amis, où miséreux et vagabonds délaissées par une Amérique mondialisée ont élu domicile. Dans ce ballet de têtes brûlées, sous les notes réverbérantes de Trent Reznor et Atticus Ross, le jugement et le mépris de classe n’ont pas de places.


Balade californienne

Dans cette partition, Jonah Hill trouve son tempo dans une alternance de ton maîtrisée de bout en bout. L’humour potache et impétueux, dont il est l’un des porte-étendard à Hollywood, est distillé, tout au plus, mais n’occupe pas la place privilégiée. De même que l’intrigue, moins chargée et politisée que son homologue anglais dans le genre, This is England (2006), que le tout juste réalisateur cite en filigrane. L’heure est à l’introspection et la contemplation des rites initiatiques qui jalonnent l’adolescence, sous toutes ses formes. L’envie d’impressionner les amis et de plaire aux filles intègre le logiciel de pensée de Stevie, au même titre que le devoir de loyauté envers ses amis et l’acception de soi.

Un travail d’acrobate, magnifié par une galerie de personnages, en apparence caricaturaux, mais qui se révèlent plus abscons et dissemblables sous l’œil d’un Jonah Hill, mué en quasi-documentariste de ses jeunes années. Ainsi, Sunny Suljic, aperçu dans Mise à mort du cerf sacré (2017), campe subliment l’insouciance et la métamorphose du jeune Stevie, aux côtés d’une palette d’acteurs prodigieux, presque tous inconnus au bataillon, exception faite de Katherine Waterston et Lucas Hedges. Non sans marcher sur les plantes-bandes de Larry Clark et Gus Van Sant, Jonah Hill nous livre une vibrante aventure estivale pleine d’égratignures et de bleus bénies par les rayons californiens des années 90, dont le langage cinématographique façonnera probablement sa patte artistique dans les années à venir.

DavidWeichert
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le 7 sept. 2023

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