99 Francs est, je pense, le film majeur de Jan Kounen. Depuis un Dobermann aussi indéfendable qu’attachant, Kounen s’est amélioré, et il expérimente tellement de procédés pour servir son histoire que celle-ci ressemble presque à un catalogue où le spectateur choisirait ce qui lui plaît. Et il y a beaucoup de bonnes choses dans 99 francs. Tout d’abord Jean Dujardin, inratable (il fait le film) et totalement dévoué au film, qui illustre avec une aise scandaleuse la personnalité d’Octave, un déchet humain dans toute sa splendeur, qui affirme haut et fort que la vie est pourrie, que son comportement nuit clairement à la société, et qui continue à faire son métier en arborant toujours cette face cynique. Il vous gueule « Je suis moins bien que vous ! » avec des airs supérieurs. Cette couche d’hypocrisie et de cynisme poisseux le colle pendant tout le récit parasite le moindre de ses actes. Car Octave méprise tout au quotidien. La seule manière de le supporter, c’est la drogue, qui lui donne « la nonchalance nécessaire pour supporter ces interminables réunions ». Son caractère est un des mieux dépeint au cinéma durant la décennie 2000. Un portrait qui sonne juste, dynamisé par une bande son branché qui accentue la notion de vitesse. Et après l’épisode Sophie, les rouages de cette existence parfaitement fonctionnelle malgré son aberration commencent à montrer des signes de faiblesses ? Y a-t-il des changements en train de s’opérer ? Des tentatives sont lancées, et souvent, elles ont l’air de tomber dans l’oubli. La vie d’Octave (ce film) emprunte de nombreux éléments au monde de la pub, et tendraient à magnifier cette vie sans temps mort, presque sans instants de réflexions. Car dès qu’Octave se retrouve seul, il ne se supporte tellement plus qu’il doit replonger jusqu’au cou dans ses excès pour surmonter sa crise existentielle. J’en profite pour dire combien il est difficile de faire une critique neutre de l’objet, tant il semble évident que le spectateur doive détester Octave, de la façon la plus universelle qui soit (et le plus fort, c’est qu’elle me semble cohérente en cumulant tous ces vices). Atout supplémentaire, en plus des symboles publicitaires, on nous sort carrément des références bibliques. Octave devient, au fur et à mesure que son envie d’évasion apparaît, une sorte de Christ, qui va devoir choisir de sacrifier sa vie facile (très facile, cette vie : vous réfléchissez à un concept pendant deux semaines avec quelques dessins, votre concept est refusé, alors vous pondez un scénar en 3 minutes chrono) à la gloire du scandale ou s’assoir et ne rien faire comme il l’a toujours fait. La fin relève dès lors du tour de force culoté, puisqu’elle nous donne à voir tous les éléments que nous attendions, et suggère doucement que le but du film pourrait être commercial. En effet, quoi de plus racoleur d’un drame trash de cette ampleur ? Ces petites marques d’ironies envers lui même pourront lui accorder notre sympathie, mais ce film, d’un extrémisme rarement vu dans le
domaine de la comédie française et de la satire sociétaire, suscite déjà vivement notre intérêt, ne serait-ce que pour sa capacité à diviser. On aime voir Octave chuter ou réussir son coup d’état, on déteste son caractère nihiliste gratuit, mais ses monologues frapperont toujours fort dans nos consciences, si nous sommes assez calmes (ou distants) pour écouter ses propos. L’anti Brice de Nice est à l’image, et ça fait plaisir.
99 francs est donc bien l’électrochoc qu’on nous a promis, ne négligeant aucune piste pour illustrer son récit (et partant même dans des trips expérimentaux incroyables, comme Octave en face de son enfant au stade foetal), et particulièrement cynique dans son propos, c’est un film qui prouve que certains réalisateurs peuvent encore oser.