J'ai pris une vraie baffe hier lors de la Cinexpérience #19.
Dès les premières secondes, le ton est donné, violemment. La musique (un gros coup de cœur sur la bande son) résonne, les basses sont puissantes, la tension est directe. On est fixés, le film ne sera pas tendre et Rick Carver (Michael Shannon) joue le rôle du salaud. Il le joue même magistralement bien. Il est de ces personnages de cinéma cyniques et mauvais que l'on devrait détester entièrement. Or, parfois je me surprend à me dire "Il a peut-être raison après tout..." et je me hais aussitôt d'avoir eu cette pensée.
99 Homes traite des expulsions massives qui ont eu lieu lors de la crise des Subprimes aux Etats-Unis en 2007. Plus particulièrement de ce moment précis où les personnes expulsées voient leur vie basculer complètement dans le chaos, fatalement, sans qu'aucun retour en arrière ne soit possible.
Inéluctable. La machine du Capitalisme, le vrai grand méchant du film, est en route et rien ne peut l'arrêter. Elle écrase tout, sans remords ni scrupules, et elle porte le visage de Rick Carver. Les vies sont broyées, réduites à néant, les serrures changées quelques minutes, sans aucune pudeur. Personne n'est épargné, ni femme, ni enfant, ni vieillard.
Vous avez deux minutes pour prendre vos affaires. Argent, chéquier,
photos. Je ne suis pas obligé de vous laisser ces deux minutes.
Rick Carver est l'associé du diable, voire le diable en personne. Souvent filmé en contre plongée, on se sent petit face à lui et à ses ambitions démesurées, rien ne peut atteindre ce personnage à la vie vide de toute émotion, il est totalement déshumanisé. Il ne juge plus que par les chiffres.
Les maisons sont des boîtes, et le but du jeu c'est d'en avoir le plus
possible.
Injustice. On subit de plein fouet les injustices criantes dont sont victimes les familles expulsées, et l'inaction du voisinage nous indigne. Mon cœur s'est soulevé plusieurs fois. Et puis parfois, non. Finalement on voit tant de tristesse qu'on en vient à ne plus rien ressentir... comme Rick Carver ou son disciple, sa marionnette, Nash (Andrew Garfield). Attendez, est-ce que Nash cesse vraiment de ressentir des émotions ? Difficile d'aborder ce point sans spoiler.
Voilà, la force du film pour moi. On est tellement dans le "vrai", dans le réalisme, grâce au jeu très juste des acteurs, qu'on a l'impression d'être dans la vraie vie. (L'histoire est basée sur des faits réels, cela aide un peu). On est donc obligés de se poser sans cesse des questions. D'être touché, un peu trop, fort. Et c'est dur. Face à notre propre côté sombre, on a du mal à trouver des réponses claires.
- "Où est la limite ?"
- "A partir de quand devient-on une mauvaise personne ?"
- "Est-ce que j'aurais fait la même chose à sa place ?"
- ...
- "Est-ce que cela vaut la peine ?"
Lors du débat à la fin de la Cinexpérience, plusieurs personnes ont dit : "Le film finit bien". Non, pour moi, il finit terriblement mal. Le Diable a sûrement plus d'une porte de sortie, et si Nash, dans une ultime action de repentance héroïque, gagne un peu de grâce à nos yeux, sa vie est définitivement gâchée, aucun retour en arrière n'est possible, sa maison est perdue, sa famille est partie et il va finir en prison. On est complètement dans le registre fataliste.
Quant au fameux "Merci" de Rick, je le vois comme un "Merci, je me suis bien servi de toi jusqu'à ce que tu craques, je vais m'en sortir et toi tu es fini".
Merci SensCritique de m'avoir permis de découvrir ce film sur grand écran. Je m'en souviendrai.