Pas facile de raconter Amer, ses créateurs Hélène Cattet et Bruno Forzani ayant décidé de bannir presque intégralement le verbe de leur premier long-métrage. Un choix audacieux pour un film qui ne l'est pas moins, tant Amer se voit, s'écoute et se ressent comme un souvenir. Ou plutôt des souvenirs, la segmentation du film en trois actes adoptant successivement le point de vue d'une petite fille, d'une adolescente et d'une femme. Trois étapes de la vie d'une même protagoniste.
A l'intention comme à l'écran, Amer fait allégeance au giallo et particulièrement à son âge d'or, qui fut aussi celui de Dario Argento. Rien d'étonnant à cela vu la vocation esthétique de l'oeuvre : provoquer une saturation du regard et des sens pour plonger son audience dans un univers totalement subjectif.
La première partie du film, qui épouse le point de vue d'une fillette laissant libre cours à son imagination durant une veillée funèbre, évoque ainsi Suspiria : déformation du réel, mélange de peur et de curiosité face à des phénomènes dont on ne peut expliquer la nature profonde, immensité d'un lieu clos et lugubre, le tout fondu dans un déchaînement de teintes rouges et bleues.
La seconde partie, solaire et épidermique, illustre la naissance de désirs qui se verront contrariés aussitôt que la jeune-fille menacera d'y céder.
La dernière, enfin, où l'héroïne décide d'affronter ses angoisses en revenant à leur source, formera un piège là encore très référentiel : la reprise d'une séquence-clé des Frissons de l'angoisse débouchera non pas sur une révélation bénéfique pour le personnage (comme c'était le cas dans le film d'Argento), mais sur un enchevêtrement de pulsions qui, jusque là source de rêves et de fantasmes, se concrétiseront.
Et les trois segments, riches en gros plans inquisiteurs, de former un puzzle obsédant.
Au-delà des apparences, au delà du regard, Amer interpelle, secoue et enchante comme pouvaient le faire les contes que l'on nous racontait étant enfants. A ceci près que le film de Cattet et Forzani embrasse la psyché d'un être dont la vision serait restée biaisée par cette terreur enfantine. Une vision que les cinéastes cisèlent au fil d'un voyage mental où image et son passent avant tout, les rares lignes de dialogue demeurant souvent sans réponse. Considérant la radicalité de leurs choix esthétiques, il est vrai que les images se passent de commentaires.