Premier long-métrage de Nicolas Winding Refn, Pusher est un grand succès au Danemark en 1996. Avant de réaliser les deux suites de cette trilogie sur le petit banditisme, Winding Refn présente deux autres films : Bleeder, dans la lignée de Pusher et où se retrouvent beaucoup de ses acteurs, puis Inside Job (ou Fear X), essai à la lisière de Lynch et de Sleepwalker.


Bleeder est un film sur les gens de la rue, la classe moyenne inférieure : les petits commerçants, les petits indépendants, les petits rebuts surtout. Racisme, nihilisme, pragmatisme, violence. Enfermés dans un monde trop bas, ces types sont extrêmement terre-à-terre, secs aussi. Les deux personnages principaux sont un gros veau oppressé (Kim Bodnia, héros de Pusher) et un fantôme gentil et quasiment vide (Mads Mikkelsen, celui de Pusher 2).


Winding Refn fait de ce dernier un alter-ego peu flatteur. Employé d’un video-club, ce cinéphile invétéré fera la démonstration d’une lourdeur de nature clinique lors de son approche de Léa (Liv Corfixen). Le premier, apathique, refuse sa paternité. Winding Refn saisit avec une grande finesse le désarroi d’un individu absent à tout y compris à lui-même, sans la moindre densité, sans curiosité ni zone de confort, pressé de devenir un homme et d’épouser un schéma traditionnel, alors qu’il est inexistant et se sent exclu.


Bleeder annonce le travail poursuivi sur la brillante trilogie des Pusher (les opus 2 et 3 atteignaient des hauteurs inégalées), tout en créant un lien différent avec le spectateur. Ici se retrouve la même proximité insolente, une puissance comparable, toutefois, la béance dans laquelle sont plongés les personnages n’est pas telle dans la trilogie. Et surtout, les personnages, tout aussi pathétiques, y ont davantage de volonté, de problèmes aussi.


Bleeder est un voyage dans un désert alors que les Pusher saisissent les bas-fonds dans leur complexité ; on retrouvera là-bas des systèmes, ici la focalisation est plutôt sur des atomes ratatinés, dans une bulle sans contexte. Bleeder n’en est pas moins riche ni tragique, bien au contraire. Justement, il nous montre ces atomes dépassés par les événements – là où ceux des Pusher, en particulier Milo, ont une vue plus large sur ce qui leur arrive (et donc une capacité à dépasser leur impuissance).


Bleeder est un film important, froid et dur, laissant groggy, où il est question d’engrenages et de renaissances. Cette balade intime auprès de passagers perdus et sans vocation a pu inspirer Dead man’s shoes. Ce n’est pas une anecdote d’un cinéaste génial, c’est une séance poignante au singulier, de celles qui peuvent rendre fan d’un auteur.


https://zogarok.wordpress.com/2016/04/24/bleeder/

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le 28 avr. 2016

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