Il y a un truc avec les films de Refn que je trouve aussi désopilant que frustrant ; c'est l'accueil du public. Rare sont les filmographies à soulever autant les avis d'un côté comme de l'autre de la balance. On lui reproche bien souvent son manque de clarté scénaristique, son traitement sans profondeur, ou plutôt sans artifice d'écriture, de ses personnages. On en dit bien d'autres à tort comme à raison, interprétations et regards subjectifs obligent. Généralement, Refn ne guide tout simplement pas son spectateur d'un halo rougeâtre au milieu d'un océan tumultueux, il te laisse te démerder avec son œuvre, à toi de te sentir concerné ou non, on ne va pas toujours te tenir la main pour aller à l'école après tout.
Si la filmographie de l'ami Refn semble donc n'être qu'une poudrière où s'échinent de virulents mais souvent pertinents personnages, qu'en est-il de son second film, Bleeder ? Bleeder me semble être un cas intéressant tant il aborde autant de problématiques diverses qu'il laissera, par souci de réalisme, sans grandes réponses ni épiphanie.
Bleeder, second long métrage de Nicolas Winding Refn suit la mouvance de son aîné, Pusher premier du nom. Comme lui, on y suit une somme de protagonistes et d'acteurs chers au cinéma de Refn, qu'on prend la peine de te présenter par d'excellents thèmes musicaux auxquels on accorde une démarche, un style. On est de suite fixés sur leurs caractères. S'ils portent tous des prénoms en L, on ne peut pas tellement leur attribuer d'autres similitudes.
Lenny (Mads Mikkelsen) bosse dans un vidéoclub, s'empiffre de films à longueur de temps, ne connaît la vie que par eux. Léa (Liv Corfixen), elle, s'enterre à servir des burgers dans un fast Food minable, ne vivant pour sa part que de ses lectures. L'un et l'autre se cherchent timidement, avec une maladresse qui prête à rire, cachant une pure douceur, une indécision évidente. La transposition de la relation naissante entre Liv Corfixen et Refn ne nous échappe guère lorsque le parallèle entre le traitement du personnage de Lenny et son intériorité psychique s'avère totalement admis et voulu.
Louis (Levino Jensen) est videur d'une boîte semblable à mille autres. Ce qui le branche au Louis c'est le contrôle, être maître de son monde autant que de ses idées, aussi racistes soient-t-elles. Louis est le frère de Louise (Rikke Louise Andersson), une femme simple, sobre dirons nous, une femme qui se découvre future mère et pour qui la vie doit changer, évoluer de son quotidien et de sa situation de merde. Léo (Kim Bodnia) se pose là en imposante clef de voûte par qui tout peut et va s'effondrer. Léo est le mari de Louise. C'est un homme brillant par son absence, que ce soit sentimentalement mais aussi dans la réalité de la paternité. A mesure que le film s'étire, cette réalité lui fait de plus en plus défaut jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard, jusqu'à ce qu'il bascule dans la violente torpeur du réel.
Si l'expérience filmique que nous fait partager Refn s'avère très plaisante, du fait d'un goût quasi religieux pour le tragique et la violence sourde ainsi qu'une grande maîtrise du rouge pulsionnel, Bleeder n'est pas exempt d'un léger défaut qui, à mon sens, à une grande importance. Mon souci est de constater qu'avec tout ce qu'on nous propose, on se retrouve avec presque deux films aux enjeux et autres déroulements radicalement opposés. Non pas que ça ne fonctionne pas ou mal, je trouve ça simplement dommage d'osciller d'une tension, d'une spirale morbide vers une légèreté presque adolescente, ne rejoignant les deux univers que par une amitié sous-exploitée entre Léo et Lenny. Il faut croire que Refn comprit cette nécessité, cette concordance des atmosphères en nous réalisant par la suite, deux opus, non pas de Bleeder mais de Pusher. M'est avis que pour le cas présent, deux films n'auraient pas été de trop.