Avant de jouer (avec excellence) le maladroit gouverneur Swann dans Pirates des Caraïbes ou le glaçant Grand Moineau de Game of Thrones (on retrouve également ici Peter Vaughan, qui y interprétera le très attachant Aemon Targaryen), Jonathan Pryce excelle déjà dans ce rôle d’un homme qui se laisse écraser par un monde complètement déshumanisé. Mais le vrai héros de ce film, c’est Gilliam, de l’imagination duquel est sortie cette vision d’horreur, d’une justesse assez effrayante.
Cinéaste de l’étrange, Terry Gilliam porte son goût de l’absurde à son paroxysme dans cette fable d’anticipation, qui emprunte plusieurs éléments au 1984 de George Orwell (on n’essayera pas de faire la liste de toutes les influences cinématographiques, elles sont tellement nombreuses !) sans en être une adaptation, pour les transposer dans son univers loufoque, et réaliser ainsi son film sans doute le plus personnel. Il en résulte une atmosphère radicalement différente du roman orwellien, pleine d’humour, mais aussi de cruauté, qui rend le film souvent très dur.
Le rapprochement me paraît toutefois beaucoup plus pertinent avec Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, car comme Huxley, Gilliam décrit une certaine forme de totalitarisme, mais un totalitarisme accepté par la plupart des gens, et la loufoquerie du film est bien plus proche du roman d’Huxley que de celui d’Orwell. On y trouve aussi la même dénonciation de l’utilitarisme qui caractérise cette forme très spéciale de totalitarisme, éliminant tous ceux qui se posent des questions et ne parviennent pas à trouver leur place dans la société. Mais c’est surtout la description du caractère illusoire du bonheur qu’on peut trouver dans une telle société qui convainc, montrant, de la même manière que Le meilleur des mondes, comment la manipulation de l’esprit humain (à travers l’attrait pour la beauté et la jeunesse éternelles, pour la superficialité et le désintérêt vis-à-vis de l’actualité et des grands problèmes sociaux et politiques) les vide complètement, et mène ainsi à ce « totalitarisme démocratique », sorte de trait d’union entre la démocratie et le totalitarisme. Le principal atout du film est d’ailleurs sans doute de montrer avec quelle facilité on peut passer de l’un à l’autre…
En outre, Brazil se révèle plus pertinent que 1984 dans la mesure où justement, la menace totalitaire n’est plus ici incarnée par un contrôle militaire permanent de la population, mais par une administration impitoyable et insouciante ainsi que par la dictature de la promotion et du prestige social, qui nous rappelle bien plus à notre quotidien, et à notre monde formaté par l’attrait de la passivité, passivité qui nous pousse à nous effacer devant la rigorisation des cadres de vie à outrance. Comme le dit Robert de Niro dans le film, « aujourd’hui, tout le pays est quadrillé, on n’ose pas lever le petit doigt sans un formulaire ! ». Constat malheureusement bien trop lucide, et qui rend Brazil bien plus proche de la réalité telle que nous la connaissons aujourd’hui qu’un 1984 souvent très juste, mais plus très actuel. Comme le dit Gilliam lui-même: « Brazil est sur aujourd'hui, 1984 sur 1948. »
Si Brazil est souvent éprouvant, il laisse en tête des images difficiles à effacer et qui font réfléchir encore longtemps après la vision du film.