On dit que c'est sur le fumier que poussent les roses. Dans le cas des super-héros, dont le rythme de production a explosé à l'aube des années 2000, l'adage se vérifie parfois dans la douleur. Flash-back...
Nous sommes en 2004. Assaillis par le déluge habituel de sorties estivales, il est parfois difficile d'en tirer une vue d'ensemble. Pourtant, avec le recul, il n'est pas interdit de penser que cette année forme, déjà, un bilan assez exhaustif de l'ère des super-héros au cinéma. Ou du moins, elle aurait dû, car un petit rouage va faire valser l'équilibre d'un quatuor de films qui, sans lui, auraient formé un trio des plus honorables. En l'état, ce sont à la fois quatre boîtes de production et quatre univers qui vont se succéder en salles.
Qui aurait pu prédire, à l'époque, une telle présence en seulement cinq mois ?
14 Juillet 2004 : Sony Pictures Entertainment
Suite d'un carton monumental, Spider-Man 2 arrive sur les écrans français avec l'assurance d'une fan base déjà établie (à la fois par les comics, par le premier film et par la carrière pré-XXIème siècle de Sam Raimi, dont la trilogie Evil Dead continue de faire des émules). Un projet maousse qui remporta autant d'estime que de succès, le public visé par un blockbuster (le monde entier, en général !) étant ici interpellé avec une sincérité assez rare. Fulgurance stylistique de 2h, parsemé de scènes d'action rares mais grandioses, Spider-Man 2 acheva de lancer le règne de Marvel dans le coeur du public.
Bilan : une (désormais) franchise qui confirme son succès + un cinéaste qui impose son style hyper expressif à la plus large audience.
11 Août 2004 : Revolution Studios
Adaptation d'une BD méconnue, au budget ridiculement faible compte tenu de son bestiaire varié (66 millions de dollars), et animé par des comédiens dont la seule star, John Hurt, hérite d'un rôle secondaire (Ron Perlman n'étant pas encore sacralisé par la série Sons of Anarchy), Hellboy affronta les mastodontes de l'été avec une assurance tranquille. Misant sur la curiosité du public, Guillermo del Toro se payait un film qui se revoit beaucoup moins facilement que ses plus belles oeuvres mais qui finit par rentrer dans ses frais puis à faire des bénéfices suffisants, notamment en vidéo, pour qu'une suite soit mise en chantier.
Bilan : un pari économique joliment remporté + un univers inédit porté à l'écran pour un film comic-book sage (les contraintes du PG-13 se font salement sentir) mais agréablement alternatif.
C'est dans ce contexte que le Catwoman de Pitof vient planter ses griffes...
8 Septembre 2004 : Warner Bros.
Personnage de femme forte par excellence, sexy en diable mais venimeuse au possible, Catwoman est aussi l'un des protagonistes les plus marquants de la filmographie de Tim Burton, l'interprétation de Michelle Pfeiffer en ayant fait l'une des attractions principales de Batman : le défi. Se mesurer à cette icône matinée de tendances SM étant impensable, le Français Pitof ne va pas pour autant faire preuve d'humilité dans cette version. Ni les exécutifs de Warner d'ailleurs, sans doute décidés à suivre coûte que coûte l'engouement économique suscité par le premier Spider-Man en s'attaquant à l'écurie DC Comics.
Faisant d'un possible comic-book movie au féminin un vilain délire 3 Suisses, Catwoman transforme une féline vengeresse en biatch qui roule du cul pour affirmer son statut de femme moderne. Unanimement qualifié de honteux (dixit sa star elle-même, venue chercher son Razzie Award avec un sens de l'auto dérision un peu fabriqué), Catwoman fit pourtant dire à certains que "(...) Halle Berry (...) donne aujourd'hui à ce personnage mythique toute sa dimension de femme libre, forte et indépendante". Merci au Figaroscope pour cet élan de lucidité. Les planètes semblant alignées pour que l'objet accumule les conneries en free style, Halle Berry se paye le luxe d'une interprétation nanardesque à pleurer de rire, bien épaulée par une Sharon Stone qui déclame un texte de reine de beauté sur le retour.
Blockbuster pété de fric pensé comme une sitcom de seconde zone (love story cliché et meilleure copine cruche à l'appui), porté par un sens de l'espace alcoolique auquel Pitof s'abandonne plutôt que de structurer sa mise en scène, Catwoman reste une catastrophe dont seul surnage un Lambert Wilson qui, peut-être conscient du ratage à venir, en fait trois fois trop dans son rôle de PDG assassin. Un peu à l'image d'André Dussolier dans Vidocq en fait, irrésistible à forcer ses tics pour faire passer l'autorité de son personnage.
Bilan : l'effet de mode aura sauvé de l'échec au box office cette production en dessous de tout, malgré une affiche tendance stagiaire Photoshop et un masque dont les oreilles évoquent Mickey Mouse. Sa nullité dépassant l'entendement, le forfait de Pitof se sera enterré tout seul. Pourtant, un outsider va venir sceller le tombeau de cette purge et relever le niveau du genre.
24 Novembre 2004 : Disney/Pixar
Pour une fois, le mot n'est pas galvaudé : Pixar aura révolutionné le 7ème art en signant le premier film d'animation entièrement en images de synthèse dès 1995, avec Toy Story. Spectacle impeccable, Les Indestructibles ressemble à un asile de fous pour tout technicien lucide : explosions en rafales, personnages humanoïdes, de l'eau, des cheveux, des passages d'actions gargantuesques, une tonne de costumes, d'interactions et d'environnements variés... Un pari artistique qui fait pourtant honneur à ses ambitions, celles d'un script que Brad Bird garde sous le bras depuis plusieurs années. Doté des moyens nécessaires, il exploite à fond les ressources de Pixar, jusqu'à rendre ses employés plutôt nerveux (il faut voir le bonhomme, dans les suppléments, s'assurer du moindre détail du travail accompli).
Bilan : un excellent score au box-office, des critiques enthousiastes mais, étiquette Disney oblige, un film qui peine à être cité comme modèle du genre, la concurrence de Spider-Man 2 n'aidant pas à abattre les frontières.
S'il n'est pas nécessaire d'être un exégète confirmé pour voir que Catwoman fait tâche au milieu de ses petits camarades, les choix esthétiques hideux de Pitof restent pourtant aussi expérimentaux que les visages tour à tour ébahis et crispés de Spider-Man 2 et le design dépouillé des personnages des Indestructibles ! Signalons qu'en Juin 2004, un cinquième film de studio a toutefois tenté sa chance, le nullissime The Punisher, mais son interdiction aux -de 16 ans l'empêchait d'office de rejoindre ce quatuor de films tous publics.
Il faudra attendre 2005 pour que Christopher Nolan vienne changer la donne avec son Batman Begins, voulu plus adulte et sobre.
2014
Devenus les leaders du marché hollywoodien, les super-héros semblent partis pour durer. A tel point que Marvel envisage d'arrêter sa production de comics papier, ces derniers représentant à peine 10% de leurs bénéfices. Là où le bat blesse, artistiquement parlant, c'est dans le sort des quatre films évoqués. Alors que Spider-Man plafonne à cinq films et que Hellboy a eu droit a un second opus, Catwoman et Les Indestructibles semblent traités à part égales par leurs décideurs respectifs ! La famille en or de Pixar n'est en effet plus apparue sur les écran depuis 2004 (on parle d'une suite pour 2017 !), et Catwoman semble avoir tellement fichu la honte à la Warner qu'elle n'est jamais présentée sous ce nom dans The Dark Kinght Rises. Drôle de paradoxe.
Depuis, Sam Raimi est passé chez Disney (Le Monde fantastique d'Oz) alors que Brad Bird en est sorti (Mission Impossible : protocole fantôme), et Guillermo del Toro se sera fait une place au festival de Cannes avec son superbe Labyrinthe de Pan. Pitof, lui, n'a plus donné de nouvelles, si ce n'est avec un misérable téléfilm à base de chasse aux dragons.
Bonus : le discours très amusant d'Halle Berry à la cérémonie des Razzie Awards.
-> https://youtu.be/U-7s_yeQuDg