Un quart de siècle. C’est le temps qui sépare la sortie de The Joy Luck Club de Wayne Wang et de Crazy Rich Asians de Jon Chu. Premier film issu d’un grand studio d’Hollywood dont le casting est entièrement asiatique depuis 25 ans, et adaptation du premier tome de la trilogie best seller de Kevin Kwan, les attentes énormes concernant Crazy Rich Asians en ont fait une des sorties les plus emblématiques de l’année 2018. Il suffit d’essayer de trouver un film à gros budget dont le héros ou l’héroïne est interprété.e par un ou une asiatique ces dernières années, pour comprendre la révolution qu’apporte la sortie d’un tel film sur le grand écran.
Dans la grande lignée de l’histoire des romcoms, l’intrigue de Crazy Rich Asians n’échappe pas au cliché du genre : Rachel Chu, une sino-américaine part à la rencontre de la famille de son petit ami Nick Young lors du mariage du cousin de ce dernier à Singapour. Problème, elle ne sait pas que la famille Young est l’une des plus riche de l’Asie du Sud-Est. Rachel va devoir faire face à la mère protectrice de Nick, mais également aux ragots et à la jalousie de l’entourage de la famille Young, tandis que Nick sera tiraillé entre son amour et la tradition de son devoir de fils aîné. A l’instar de Black Panther avec la communauté noir américaine, le film propose un casting qui regroupe la crème des acteurs asiatiques du monde hollywoodien. L’héroïne est interprétée par Constance Wu, la fameuse Jessica Huang de la sitcom Fresh Off The Boat, tandis que Nick Young est joué par le britanno-malaisien Henry Golding dont c’est le premier rôle. Les sidekicks comiques sont attribués à la rappeuse Awkwafina, Ken Jeong (Community), et Jimmy O.Yang (Silicon Valley). Et le rôle de la mère de Nick revient à un monument du cinéma asiatique, reine du cinéma d’action dans les années 90, Michelle Yeoh.
Crazy Rich Asians est un film qui ne révolutionne pas vraiment le genre de la romcom. Tous les ingrédients traditionnels sont présent : de beaux acteurs et de belles actrices, des gags, des quiproquos, des disputes, des séparations, et bien évidemment une réconciliation finale. Les magnifiques décors naturels et urbains qui en mettent plein la vue sont une véritable publicité pour la cité-état de Singapour, ainsi que les nombreuses scènes où la gastronomie locale est mise en valeur. Le film est une authentique office du tourisme à lui tout seul.
Cependant, là où Crazy Rich Asians apporte sa petite touche personnelle, c’est son enrobage culturel qui multiplie les clins d’oeils aux initiés. Des reprises de Teresa Teng, de Sally Yeh, la floraison des Tan Hua, ces fleurs très éprises des populations asiatique, la préparation de raviolis autour d’une table en famille, tous ces symboles d’une culture trop peu présente dans un cinéma occidental vont prendre sens à travers les yeux et les oreilles de la diaspora chinoise dans le monde. Et malgré son statut de grosse production, Jon Chu a réussi à capter l’essence des sentiments profonds des personnages qui ne sont souvent exprimés qu’à travers un geste, un regard, un non dit. Et quand le climax final se conclut durant une partie de mah-jong filmée comme une scène d’action, on est finalement très loin des longues tirades lyriques habituelles des romcoms.
Vous l’aurez bien compris, Crazy Rich Asians est un vrai petit ovni dans le paysage hollywoodien. Et même si l’oeuvre n’est pas exempt de tout reproche, comme le fait de ne représenter qu’une infime partie de la population de Singapour, qu’on ressente par moment que certaines intrigues ou personnages ne soient pas assez développés, il faut malgré tout saluer le travail de Jon Chu qui avait une responsabilité sur un projet dont les enjeux dépassaient largement le cadre du film en lui-même. Espérons que l’incroyable succès du film aux Etats-Unis, qui est désormais le plus gros score au box-office pour une comédie romantique sur les dix dernières années, soit une petite révolution qui va ouvrir la porte à d’autres productions avec des casts plus diversifiés et que le phénomène de whitewashing ne soit plus qu’un mauvais souvenir.
Si vous voulez vous évader de la torpeur et de la grisaille automnale, Crazy Rich Asians est la réponse parfaite du moment. Un peu de strass, beaucoup de paillettes, des ravioles et du Teresa Teng. L’évasion est totale.