Depuis son exil aux USA, Jet Li a beaucoup déçu ses fans de la première heure. On ne peut pas vraiment leur donner tort d'ailleurs. Du navrant Romeo Must Die au pathétique Craddle To the Grave, ses films au pays de l'Oncle Sam se caractérisent par un total manque d'ambition, un improbable mélange de cinéma Rap avec une pointe de Kung Fu mal digéré pour une recette au Box Office rapide. Une sorte de cinéma Big Mac, vite vu, vite oublié. L'ancien champion de Wu Shu semble pourtant vouloir sincèrement satisfaire ses fans. Ses déclarations d'intention à chaque nouveau tournage attirent la sympathie et l'on sent chez lui la volonté de livrer les combats spectaculaires tant attendus par ses fidèles. Mais pour cela, il faut imposer ses choix et Jet n'est pas de ce style là. Plutôt timide, il laisse les autres le diriger et prendre les grandes décisions à sa place. Si on ajoute à cela une tendance à ne pas très bien s'entourer, on a là une partie des raisons de son échec artistique en Occident. Son alliance, à priori surprenante, avec Luc Besson en 2000 semblait être du même tonneau. Depuis Taxi, le réalisateur/producteur Français a cherché à imposer un nouveau type de cinéma d'action Hexagonal, mélange de clichés banlieusards et d'emprunts plus où moins bien digérés à d'autres cinémas. Le résultat est souvent indigeste mais une indéniable réussite commerciale. L'arrivée de Jet dans l'écurie Europa Corp laissait donc présager une constance dans la médiocrité, une nouvelle série de films jetables (sans mauvais jeux de mots). Pourtant Kiss of the Dragon fut un léger pas en avant. Certes, le scénario était rempli de trous mais on avait au moins droit à un bon petit final comme à la grande époque. Peu mais toujours mieux que rien. Danny The Dog justifiait donc un minimum d'intérêt après cette, très relative, bonne surprise. Besson allait il corriger les habituels défauts de ses scénarios (empilement de clichés, personnages caricaturaux...) ? Le recours à Yuen Woo Ping comme chorégraphe, connu pour être moins adepte des compromis que son collègue Corey, donnerait il un nouveau souffle aux scènes d'action ? Le résultat est à nouveau une œuvre mitigée...
Disons le tout net : Le concept de Danny The Dog est stupide. Des hommes surentraînés au combat au point qu'ils en oublient leur humanité, ce n'est pas une idée nouvelle. Films et romans en ont fait un grand usage depuis bien des années et certains traitements de ce concept ont donnés de jolies réussites. Mais ici, l'analogie grossière faite avec le chien plombe sérieusement le propos. Qu'on devienne une machine à tuer avec une formation adéquate (jamais montré dans le film d'ailleurs, peut être se rendaient ils compte que cela n'aurait pas pu être crédible...), passe encore. Mais de là à devenir réellement comme un chien, il y a de la marge... Une idée d'autant plus débile qu'elle ne sert qu'à justifier quelques gimmicks bien superficiels tel ce fameux collier et est laissée de coté quand elle implique de trop grosses difficultés scénaristiques (Danny parle quand ça l'arrange par exemple). Le traitement est de toute façon à l'avenant, marqué par une subtilité digne d'un Panzer. Les méchants sont vraiment méchants, les gentils, supers gentils, rendant le récit par trop prévisible dans son déroulement avec son moralisme familial bien pensant en première ligne. Le choix de Jet Li dans le rôle titre n'apporte également pas beaucoup de crédibilité au concept du film. Même si l'acteur délivre une très bonne prestation, à plus de 40 ans, il n'a pas exactement l'étoffe ou l'apparence d'un chien fou. Quelqu'un de plus jeune, comme Fan Siu Wong, aurait été plus adéquat tant qu'à exploiter l'idée au mieux.
Pourtant, Leterrier semble inconscient de l'aspect bancal du concept de départ de son film. Tout comme il ne se pose pas de questions sur les clichés de films d'arts martiaux Occidentaux (ah, ces bons vieux tournois undeground comme JCVD les affectionnaient) ou la psychologie naivo-gnagnan dont regorge son scénario. Leterrier prend l'ensemble sans se poser de questions et le met en scène avec un premier degré désarmant. Il en résulte un inévitable décalage entre les intentions sincères du réalisateur et le résultat à l'écran, souvent maladroit (une deuxième partie trop explicative et manquant de rythme, des scènes dramatiques bien trop appuyés pour convaincre). La thématique familiale est l'aspect qui en fait le plus les frais. Vouloir opposer ces deux pôles, la famille stable/acquise d'un coté à celle de dégénéré/innée (à peu près) de l'autre aurait pu être la source d'un conflit émotionnel intéressant pour le personnage de Danny. Leterrier investit beaucoup de temps et d'énergie dans le développement de ces relations, prouvant bien son intention de livrer un film avec un minimum de fond intéressant. Hélas, l'approche « mort à la subtilité », à travers des personnages caricaturaux et des scènes touchantes traités comme des scènes d'explosions, neutralise la plus grande partie de ce potentiel.
Cependant, si l'on parvient à passer outre ces nombreux problèmes, on peut se raccrocher aux quelques réussites qu'amène le traitement sérieux de l'intrigue : Les scènes comiques où Danny réapprend à vivre normalement, la première rencontre avec Danny et Sam ou encore les confrontations directes entre le « chien » et son maître. Ces bons moments ponctuels sont le résultat d'un efficace travail d'équipe. Leterrier a beau appuyé trop ces effets, sa réalisation fait parfois mouche, renforçant l'ambiance de quelques scènes clés (l'agressif début, certains moments autours des pianos...). Le choix d'un univers urbain tendance friche industrielle ainsi qu'une BO de Massive Attack adéquate sont également des plus pour le long métrage, participant à la création d'un univers sombre et violent, cohérent avec l'esprit du film. Mais c'est surtout le recours à un casting talentueux qui permet d'oublier en partie les grosses ficelles scénaristiques de Danny The Dog. Morgan Freeman, étonnamment naturel en aveugle, apporte son charisme tranquille à Sam. Le personnage est trop bon pour être totalement crédible mais le jeu plein de vie de Freeman fait passer la pilule avec élégance. Parallèlement, Bob Hoskins présente les caractéristiques classiques du bad guy à la Besson : Pourri jusqu'à la moelle et hystérique (cf : KOD, Leon). Bien caricatural donc. Mais Hoskins y va à fond, alternant vociférations et hypocrisie avec une belle gouaille. Son Bart se rapproche au final d'un méchant de comic book, certes manquant de profondeur mais avec un charisme indéniable.
Si Besson est hélas fidèle à lui-même, Yuen Woo Ping l'est également et, là, on ne s'en plaindra pas ! Assisté par son équipe habituel (dont son frère Shun Yee), le chorégraphe compose des scènes d'action de qualité pour un Jet Li très en forme. Les combats sont clairement conçus sous un angle violent : Les coups pleuvent, les chutes ou impacts sont régulièrement mis en valeurs et les effets sonores utilisés à fond. Pour autant, Woo Ping n'oublie pas de donner du rythme aux affrontements et de placer quelques techniques plus visuellement spectaculaires. Du travail de pro. Il doit cependant composer avec quelques limites dues au travail hors de Hong Kong. On peut ainsi remarquer quelques cascadeurs manquer d'un peu de réactivité lors de combats de groupes. Autre exemple : Le combat dans l'arène contre 4 adversaires. Même si Silvio Simac et Scott Adkins sont de bons artistes martiaux de cinéma, leurs costumes et physiques ne leur permettent pas de déployer une vitesse optimale (le petit passage où Adkins utilise une lance se rapproche beaucoup des films Hong Kongais mais en légèrement moins bien fait). L'ensemble reste tout de même très plaisant. Surtout que pour le final, Woo Ping utilise un ancien habitué des chorégraphies à la HK, le fort sympathique Mike Lambert. Avec ce vétéran à sa disposition, Yuen peut déployer toute sa maestria avec une chorégraphie technique et intense digne de ces travaux dans l'ex colonie. Les fans ne pourront qu'apprécier !
On l'aura compris, Danny The Dog est le meilleur film de la carrière Occidentale de Jet Li. Pour autant, on est loin du chef d'œuvre à cause de ce scénario méchamment bancal. Si l'on devait le comparer à un film de Hong Kong, Danny The Dog se rapprocherait d'une production Wong Jing qui se prend au sérieux. Un plaisir coupable en somme...