Korean rapsodie
En 2013, lorsque Bong Joon-Ho et Park Chan-Wook avaient traversé le Pacifique pour rejoindre l'usine à mauvais rêve Hollywoodienne, on craignit alors un occidentalisation décevante des meilleurs...
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le 29 août 2016
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Après avoir marqué les esprits sur la Croisette cannoise en 2011 avec King of Pigs, le sud-coréen Sang-Ho Yeon s'essaie pour la première fois au cinéma live avec Dernier Train pour Busan (Busanhaeng), adapté du manga du même nom. Il est la suite directe de Seoul Station, son précédent film d'animation, qui voyait les premiers jours d'une invasion mondiale de zombies. C'est l'occasion pour le cinéaste de revenir fouler le tapis rouge dans une séance de minuit qui avait tous les éléments pour être la séance la plus jouissive du festival. Le blockbuster venu d'Asie saura-t-il voler la vedette aux productions hollywoodiennes, et surtout à son modèle, World War Z ? Nul besoin de tenir un faux-suspense, Dernier Train pour Busan manque cruellement le coche et fait preuve d'une paresse dans l'écriture qui dénote face à l'accumulation de moyens déployés pour rendre crédible cette course-poursuite ferroviaire viscérale.
L'équation semble simple sur le papier. Si vous appréciez un tant-soi peu la frénésie et la folie des infectés de World War Z, la superproduction de Marc Foster avec Brad Pitt, et que vous vous êtes pris un uppercut ferroviaire avec le claustrophobique et renversant Snowpiercer - Le Transperceneige du compère sud-coréen Bong Joon-ho, alors il est évident que la formule devait fonctionner. Mais le construction caricaturale du scénario est la variable qui empêche l'équation de tenir la route. Tout n'est pourtant pas à jeter puisque si la naïveté des situations et les stéréotypes défilent à la pelle, il faut reconnaître que Dernier Train pour Busan épate par la rage violente qui anime ces zombies et les fait courir à toute allure, loin de ceux de La Nuit des Morts Vivants (George A. Romero, 1968) mais plus proches de ceux de L’Armée des Morts (Zack Snyder, 2004). Cela donne lieu à quelques impressionnantes séquences d'invasion et de course-poursuite à l'instar de World War Z. Le cinéaste Sang-Ho Yeon utilise avec simplicité et efficacité tous les codes ferroviaires de l’espace fermé dans lequel il pose sa caméra pour redonner un coup de jeune à un genre maintes fois rabattu et pour lequel on a désormais tout vu. La réalisation fait preuve d'une incroyable maîtrise visuelle en termes de découpage et de fluidité, ce qui rend l’ensemble souvent dynamique. Si dans Snowpiercer, le train était une métaphore de l’échelle sociale, dans Dernier Train pour Busan, il est une allégorie du refuge qui révèle les véritables caractères des gens. C’est ainsi que le cinéaste coréen dénonce l’individualisme d’un pays où chacun des passagers pense avant tout à son intérêt, prêt à sacrifier les autres. Cette situation exceptionnelle sera donc le parcours vers la rédemption pour le héros du film (un père qui tente de renouer le contact avec sa fille) qui va devoir mettre sa personne de côté et réapprendre à s’ouvrir aux autres. Pour le cinéaste, l'invasion est donc le point de départ pour décrire un monde déshumanisé, corrompu par le capitalisme, où l'intérêt passe avant l'humain. La métaphore sociale aurait sans doute été appréciée si elle n'avait pas été aussi peu subtile.
Car s'il arrive à tenir son rythme de croisière qui ne faiblit jamais, Dernier Train pour Busan oublie de maîtriser son sujet, de ne pas empiler les clichés à la pelles et de rendre le train aussi terrifiant que ce qu'il se déroule à l'extérieur. Le problème du film vient alors de son manque total d’originalité et de son classicisme déprimant. Le film enfonce des portes et rend la situation aussi caricaturale que prévisible. Avec ce père et sa fille qui n'arrivent plus à communiquer, forcés de devoir affronter l'insurmontable et de réapprendre à s'aimer, on roule souvent des yeux devant la naïveté d'une relation artificielle pour laquelle on a du mal à éprouver de l'affection. Dans ce sens, Dernier Train pour Busan témoigne d’un pathos écrasant dont on ne sait pas si le réalisateur avait conscience de la lourdeur de son propos. Il ne lésine jamais sur les moyens de sortir les violons dans les moments dramatiques ou de pousser constamment les gens aux sacrifices. C’est regrettable alors que le propos soit appuyé par la lourdeur des personnages, tous aux caractères bien distincts et auxquels il est malheureusement difficile de s’identifier, empêchant toute empathie. Dernier Train pour Busan est un film qui se veut pluriel (drame, action, série B) mais qui, à force de ne jamais vraiment jouer dans une seule catégorie, échoue lamentablement tout ce qu’il entreprend. A aucun moment, il ne nous arrive d’être ému par les conflits des personnages, amusé par la folie des combats ou impressionné par l’action du film parce que le cinéaste s’étale entre tous ces genres sans jamais les développer.
Cela n'a pas empêché le film d'obtenir une (incompréhensible) standing ovation à Cannes, et de faire un carton en Corée du Sud, où il a engrangé plus de dix millions d'entrées, soit le plus gros succès de l'année dans le pays. Mais World War Z, avec tous les défauts qu'on lui connaît, n'avait-il pas également été un carton international (plus d'un demi milliards de recettes) ? Pas sûr que le style coréen ne plaise autant en Occident mais vu le succès qui précède l'arrivée du film dans l’hexagone, et la popularité toujours aussi forte des zombies (coucou The Walking Dead !), on peut difficilement nier que les zombies ne vont pas encore squatter quelques temps les salles de cinéma. Malheureusement avec son incapacité à dépoussiérer un genre usé jusqu'à la moelle, Dernier Train pour Busan n'en reste pas moins un film à oublier très vite.
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Créée
le 15 août 2016
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Quand je mate un film de zombies non parodique moderne, j'ai de nombreuses occasions de soupirer. C'est un genre assez codifié et le nombre d'histoires faisant intervenir ces charmants punching-ball...
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Ainsi donc, du Zombie en mode Word War Z (à savoir rapide) dans un train en mode Snowpiercer, le tout en Corée. Il faut bien reconnaître qu’il y avait quand même de quoi se méfier. Et ça dure deux...
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