L'enfer et le paradis
Trois années après De Rouille et d'os, Jacques Audiard revient avec Dheepan, tout juste auréolé d'une première palme d'or pour lui, où il va mettre en scène le destin d'un ancien soldat rebelle,...
le 29 août 2015
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Trois mois après avoir obtenu la palme d'or au festival de Cannes 2015, Dheepan sort enfin dans nos salles. C'est le septième film de Jacques Audiard et aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est un mauvais film. Après un parcours sans faute, il livre une oeuvre tournant à vide, dénuée d'émotions et se concluant dans l'absurdité.
La guerre civile est proche de la fin au Sri Lanka, Dheepan (Antonythasan Jesuthasan) décide de fuir sous une nouvelle identité avec Yalini (Kalieaswari Srinivasan) et Illayaal (Claudine Vinasithamby). Ils ne se connaissent pas et vont devoir se faire passer pour une famille afin d'obtenir le statut de réfugié en France. Après quelques temps d'attente, Dheepan va devenir gardien dans une cité de la région parisienne ou ils emménagent, alors que Yalini va s'occuper d'un homme âgé et Illayaal faire son entrée scolaire dans une classe d'adaptation.
Je considère Jacques Audiard comme le plus grand réalisateur français contemporain. Chacun des ses films s'accompagne d'une énorme attente depuis le premier en 1994, Regarde les hommes tomber. Il ne m'avait jamais déçu, même si l'histoire ou le casting ne m'attirait pas vraiment, ce fût à chaque fois une belle surprise. Il a l'art de tirer le meilleur de ses acteurs(trices), de nous emmener dans des directions surprenantes et de pousser le spectateur à la réflexion sur notre monde.
Son dernier film colle malheureusement à l'actualité où des milliers de réfugiés affluent en Europe pour fuir la guerre et la mort. En prenant comme "héros", une famille du Sri Lanka découvrant la vie dans une cité française, on pouvait s'attendre à un choc culturel avec la difficulté de se fondre dans notre société. Mais en voulant nous surprendre en mélangeant les genres, il se perd en effleurant la plupart des sujets et ne va jamais au fond de ses idées, avant de sombrer dans une facilité déconcertante pour un auteur aussi exigeant.
Jacques Audiard procède par touches pour présenter ses personnages, Dheepan en tenue militaire, brûlant des corps, avant d'enlever ses vêtements et de les mettre dans le feu. Yalini cherchant une orpheline dans un camp pour obtenir les passeports et fuir en Angleterre. Mais l'homme décide que leur destination sera la France, un pays où ils ne semblent pas avoir de famille. Le trajet est éludé, comme l'obtention du statut de réfugié, du poste de gardien et donc d'un nouveau logement plus "humain". Cette simplicité est intrigante, on attend de voir la suite pour mieux comprendre ou le réalisateur veut en venir. Le problème, c'est qu'on voit rapidement ou il veut nous emmener et on attend que le conflit ait lieu. Durant cette période, on aurait pu découvrir les habitants de la cité, au lieu de se contenter des dealers et d'un pseudo caïd sans relief, en la personne de Brahim (Vincent Rottiers). Mais là encore, on reste en surface en sombrant dans un ennui profond où même la caméra de Jacques Audiard a du mal à nous en extraire. Il faut dire qu'il ne se passe pas grand chose, pas que cela soit pénalisant, qu'on ait besoin d'actions, de cris, de sang et de larmes, mais juste qu'on nous raconte une histoire et pas une nouvelle caricature de la vie en cité.
La relation entre Dheepan et sa "femme" Yalini est le moteur du récit. Leurs rapports sont distants, chacun doit travailler pour avoir un semblant de vie "normale", tout en étant des inconnus l'un pour l'autre, comme avec leur "fille". Ils vont se découvrir petit à petit, sans avoir vraiment le choix. On sourit parfois face à leurs réflexions sur notre culture, comme lorsque Yalini regarde le défilé de voitures et de scooters par sa fenêtre, en ayant l'impression d'être au cinéma. Le spectateur est dans la même position, il regarde mais il est vraiment dans une salle de cinéma, dans un confort relatif selon l'attitude du public qui l'entoure. Rien de bien dangereux, au contraire de la situation de cette "famille" de réfugiés.
En France, le danger ce sont donc les dealers de cité et brièvement la police. Ces fameuses zones de non-droit, qu'affectionne FOX News. Une guerre a lieu sur les terres françaises, comme au Sri Lanka et le pauvre Dheepan, va devoir à nouveau faire le ménage pour rendre le monde meilleur. Certes, notre pays n'est pas un havre de paix, la violence fait constamment la une des journaux et la misère croit dangereusement. Mais sa représentation de la situation est caricaturale, digne d'un journaliste de BMFTV.....
Jacques Audiard ne semble pas connaitre son sujet, ce qui est assez surprenant pour un réalisateur aussi exigeant, même si on avait déjà pu apercevoir des facilités scénaristiques dans ses films précédents. Le film a été présenté dans une version non définitive, mais en gagnant la palme d'or, cela lui aura peut-être fait plus de mal, que de bien. Ce n'est pas un brouillon, mais certaines scènes n'apportent rien à l'histoire, comme lorsque Dheepan retrouve son ancien colonel. Elle n'a aucun intérêt, sauf de montrer à nouveau la violence des rapports entre les hommes. On peut aussi y voir le fait que l'on échappe pas complètement à son passé, mais avait-on vraiment besoin de ce moment pour le comprendre, pas vraiment.
Il y avait pourtant des faits plus intéressants à nous raconter, comme l'adaptation d'Illayaal dans son école, où la relation avec les autres habitants, sans oublier le choc culturel. Mais on voit cela furtivement, enfermer dans cette cité sans vie. Certes, c'est voulu par l'auteur de concentrer l'action dans un seul lieu, de montrer un des visages de la France, mais c'est aussi très réducteur. On a beau tourner le film dans tout les sens, cela reste une oeuvre très mineure dans celle de Jacques Audiard, en espérant que cela soit un accident de parcours.
C'est une palme d'or incompréhensible, elle semble plus couronner la filmographie de Jacques Audiard que le film. La loi du marché; aussi présent au festival de Cannes; est une oeuvre plus aboutie et cernant mieux le visage d'une France en pleine crise économique et humaine.
Créée
le 30 août 2015
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