Un film profondément troublant, et ce pour de nombreuses raisons, toutes liées au regard de Pierre Schoendoerffer qui ne porte aucun jugement (sur l'opposition des forces en présence, tout du moins). S'agit-il d'un documentaire ou d'une fiction ? Une ode à la chose militaire ou à la paix ? Un film empreint de nostalgie ou de réalisme ? Il y a un peu de tout ça dans ce témoignage. Une chose est sûre, on sort de cette bataille la gorge serrée.


La célèbre bataille, donc, Diên Biên Phu, les adieux de la France en Indochine scellés dans le sang. Il y a quelque chose de glaçant dans l'approche du réalisateur (qui a lui-même vécu cette bataille, et à voir son film, il n'y a aucun doute là-dessous, ça se sent tout de suite) car il parvient à faire ressentir les enjeux immenses (humains, militaires, mais aussi idéalistes, via le sens du sacrifice) de cette guerre à des gens comme moi absolument pas sensibles à tout ce qui a trait à l'armée. Si le film se divise en deux parties la ville de Hanoï / la bataille de Diên Biên Phu, c'est bien ce deuxième lieu qui concentre l'essentiel de l'intérêt du film (en dépit de la présence appréciable de Donald Pleasence en journaliste américain dans la ville vietnamienne). Le film prend son temps pour démarrer, les premiers temps sont un peu lents et hésitants, mais la gravité va peu à peu se faire sentir et se généraliser.


Et tant que je suis dans les défauts : le coup des violons est un peu exagéré, bien que la dimension tragique se justifie parfaitement ; et même si les dialogues sont saisissants dans leur contenu, dans leur capacité à témoigner, à véhiculer la réalité de cette guerre, l'interprétation n'est pas excellente et rend le discours et les conversations un peu artificiels. Un peu comme dans La 317e Section en fait. Voilà, ça, c'est dit.


Parce que pour le reste, la description de la guerre sur ces quelques collines aux noms de femmes (comme d'anciennes conquêtes dont on se souviendrait de manière nostalgique : Béatrice, Gabrielle, Éliane) et dans les tranchées boueuses est impressionnante. Un décor authentique pour une reconstitution qui prend aux tripes et qui signe le crépuscule des idéaux de ces derniers soldats. La pluie, la boue, le sang, le feu, la fumée. Les mortiers qui ne s'arrêtent jamais, un déluge de bombes sur ces pauvres types abandonnés. Et c'est bien parce que Schoendoerffer a pris toutes les précautions pour ne pas tomber dans la fable colonialiste ou vaguement réac qu'on accepte ce point de vue, ce témoignage en souvenir d'un épisode douloureux de l'Histoire, et qu'on se laisse guider dans cet univers qu'il connaît parfaitement pour y avoir vécu. Et la conclusion confirmera cette démarche, si besoin était.



« Ce film a été tourné moins de quarante ans après la bataille de Diên Bien Phu, au Vietnam, au Tonkin comme nous disions autrefois, avec les Vietnamiens et l'armée du Viêtnam. Ce fut une expérience bouleversante, pour eux comme pour nous. Refermant une page douloureuse de notre histoire, elle n'a de sens que si elle contribue à renouer des liens avec ce Vietnam que nous aimons, que j'aime. »



Incroyables séquences avec quelques avions qui larguent des bombes, des vivres, ou des soldats en arrière plan, la lenteur de leur mouvement décuplant la puissance de ce qui est en train de se jouer. Incroyables temps forts pendant toutes les scènes de combat, le danger est partout, la peur est palpable et contagieuse, avec ces lance-flammes illuminant les champs de bataille au loin, lumières rougeoyantes sur ces sols boueux que l'on qualifierait de magnifiques si elles n'étaient pas produites par des armes de guerre. Incroyables dialogues qui pourraient paraître un peu supérieurs dans un autre contexte, mais qui portent toute l'expérience et le sérieux de l'ancien caméraman du service cinématographique des armées. Incroyable hymne fédérateur et dernier souffle, une des seules fois où la Marseillaise (même en reggae) ne m'a pas fait dégueuler. En suscitant autant de sentiments contradictoires, Diên Biên Phu est tout comme son grand frère La 317e Section aussi passionnant que dérangeant.


[Avis brut #17]

Morrinson
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le 10 déc. 2015

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