SPOILERS
Tarantino aime faire dans l'excès.
Que ce soit d'effusions sanguines, d'humour noir (ho ho ho), de situations burlesques ou de dialogues à n'en plus finir; ça on sait. A chaque nouveau film l'histoire change, mais la recette reste globalement la même : celle-ci comprend des thèmes qu'affectionne tout particulièrement Quentin, à savoir la vengeance, la violence, la tyrannie des méchants etc. Ça, on le sait aussi.
Quentin est audacieux, et il sait montrer à son public qu'il n'a pas peur d'aller toujours plus loin dans ses excentricités, en mettant par exemple le doigt sur des sujets assez sensibles (Shoah, esclavage...). Ça aussi, on le sait.
Lorsque l'on est informé de tout cela, et qu'on apprécie un tant soit peu le style du bonhomme (comme c'est mon cas), on s'attend à passer un bon moment devant Django Unchained.
Sauf qu'il y a bien une chose qu'on ne sait pas.
Ce qu'on ne sait pas, c'est que ce film n'est en fait qu'un concentré indigeste de tous les excès de tous les films de Tarantino réunis, ce qui au bout de 2h50 a vite fait de coller la migraine.
D'abord il y a l'histoire, celle d'un jeune esclave noir devenu chasseur de primes avec l'aide du destin, passant progressivement du statut de victime à celui de bourreau (autre "grand classique" chez Mister T). Autant certaines choses marchent, surtout pendant la première heure (les scènes du saloon et de la plantation sont très réussies). Et puis, au fur et à mesure que les minutes passent (lentement, très lentement), on s'en lasse. L'aventure devient aussi palpitante que de regarder Django chevaucher au ralenti dans un champ de coton avec du rap US en musique de fond (oui, ils ont osé !), et le final, bien que visuellement réussi, est parfaitement indigeste.
Ensuite, il y a les personnages. Plutôt que de choisir un acteur méconnu du grand public pour interpréter son héros, de sorte que l'on puisse davantage s'identifier à ce dernier, Quentin fait jouer Jamie-Foxx-le-bad-boy-au-regard-de-tueur qui nous donne l'impression de nous trouver au centre d'un règlement de comptes à la San Andreas plutôt que dans une véritable aventure de l'Ouest, ce que Christoph Waltz avait pourtant promis en narrant la légende de Siegfried et des Nibelungen au coin du feu.
D'ailleurs parlons un peu de Christoph et de son personnage: lui que je considère comme l'un des rares à pouvoir se permettre d'en faire des caisses sans jamais donner l'impression de cabotiner, lui qui possède la diction et la grandiloquence la plus savoureuse du Septième Art, lui que tout le monde avait trouvé magistral en colonel S.S. impitoyable dans Inglourious Basterds - moi en premier -, ben là je l'ai trouvé lourd, pompeux, inachevé. Son personnage ne sert plus à rien dès lors qu'il aide Django à délivrer sa belle, il crève bêtement et de tous ses enseignements énoncés dans la première partie, seul subsiste celui de la gâchette. Ach.
Et puis il y a Dicaprio l'excité et ses insupportables crises d'hystérie (pour le coup, lui était fait pour jouer chez Tarantino); on notera tout de même l'effort honorable de s'être laissé pousser la barbichette et pourrir les dents pour avoir l'air encore plus vilain... Samuel L. Jackson s'en tire beaucoup mieux dans la peau de son âme damnée, un vieux majordome sournois et cruel, adepte de la sempiternelle philosophie "Tu-peux-pas-test" qu'on lui connait bien.
La véritable nature du film (s'il y en a une) est indécise. D'un côté on a droit à des scènes véritablement violentes, montrant jusqu'où pouvait aller la cruauté des esclavagistes (et vas-y que je t'émascule au fer rouge alors que tu pends les quatre fers en l’air...gloups). A contrario, on se retrouve avec des situations burlesques, parodiant lesdits esclavagistes et les tournant carrément en ridicule (la Chevauchée des Fantômes Vengeurs avec leurs cagoules Ku Klux Klanesques mal cousues est le seul passage véritablement drôle que l'on retiendra).
Arrive enfin la scène finale, où Django accomplit sa vengeance de la façon la plus stylée et la plus impitoyable qui soit. Affublé des atours du défunt Dicaprio, des lunettes noires sur le pif et un revolver dans chaque main, notre héros flingue tout le monde sans vergogne (en prenant bien son temps pour ceux qui l'ont fait chier le plus) et quitte la plantation, laissant un Sam Jackson estropié et fou de rage l'insulter de "nigga" à tout va (un noir qui traite un autre noir de "nègre", cherchez l'erreur...). Vainqueur, il regarde le bâtiment voler en éclats, fait une superbe Troll Face face caméra et retourne faire des cabrioles à cheval avec sa dulcinée. Fin.
D'accord, c'est visuellement réussi. D'accord, c'est plutôt bien mis en scène, mais pour une ou plusieurs raisons qui m'échappent, j'ai pas pris mon pied. Peut-être est-ce parce que la victoire de Django est calculée d'avance compte tenu qu'il est le seul armé ? Dans Inglourious Basterds, c'était bien plus intelligent : alors que l'on pensait naïvement que seuls les nazis allaient s'en prendre plein la tronche (pour une fois), c'est tout le monde qui trinquait. Les seuls qui s'en tiraient à bon compte étaient ceux qui se montraient plus fourbes et malins que les autres.
Par ailleurs, le même film - Inglourious - réussissait bien mieux l'installation d'une ambiance de western spaghetti, ne serait-ce que par sa scène d'ouverture mémorable, véritable hommage au maître à penser et père spirituel de Tarantino, Sergio Leone. Ici, Quentin a beau filmer d'excellents acteurs chouettement costumés dans de jolis paysages et nous montrer des fusillades et des effusions de ketchup à tout va, la sauce a étrangement plus de mal à prendre. Cela ressemble davantage à un Wild Wild West * sinistre et bavard, où tout le monde passe le plus clair de son temps à papoter, à se tirer dessus et à se traiter de "nigga" au moins 30 000 fois par seconde, ce qui a plus vite fait de fatiguer que de divertir.
Le film pèche également par ses longueurs interminables et de l'ajout de passages parfaitement inutiles, tels que la scène ou un Tarantino bedonnant et nasillard nous gratifie d'un caméo outrancier et de 10 minutes de film supplémentaires. Mon avis est qu'il aurait mieux valu s'arrêter au point d'orgue du film (la splendide séquence de fusillade dans le hall de la plantation) et emprunter une voie plus rapide jusqu'au destin de Django et de sa belle. Passé ce stade, plus rien de ce qui ne se passe n'a de saveur et le générique de fin arrive comme un soulagement, mettant enfin un terme à ce carnage.
CONCLUSION
Quentin voulait se lâcher, et bien, il l'a fait. Mais ce faisant il saborde également son oeuvre, misant tous ses jetons sur les aspect les plus pesants de son film au détriment des plus intéressants. Au final tout ce qu'on a sous les yeux est un film long, redondant, exsangue et peu plaisant, qui aurait pu (du) passer beaucoup mieux s'il avait été dosé plus intelligemment.
[* Note : la remarque n'est pas anodine, puisque Will Smith aurait soi-disant décliné le rôle principal avant que Jamie Foxx ne soit finalement casté. Quant à la question de si le film aurait été meilleur ou pire avec lui, on ne saura jamais - quoique le tout récent et dispensable Suicide Squad nous donne une petite idée de la réponse...]