Attention spoilers
En concluant pour de bon leur trilogie, les studios Dreamworks ont eu l'occasion de gommer ce qui faisaient de Dragons et Dragons 2 des divertissements brossant un peu trop le spectateur dans le sens du poil par un personnage qui façonne l'univers selon sa propre volonté, s'imposant ainsi à un monde qui apparemment ne vit que pour lui. Un égocentrisme qui ne choque plus depuis longtemps tellement la recette est utilisée (et qui dans cette saga faisait tout de même l'objet de nuances primordiales), mais pour une oeuvre qui se laisse autant influencer par Miyazaki, le japonais ayant toujours refusé dans ses films de flatter son spectateur de cette manière, ce déroulé un peu trop hollywoodien a un goût de limitation en terme de capacité à délivrer un réel discours sur le monde et la place qu'on y occupe. Un Harold plus âgé permettra à Dragons 3 de s'émanciper de cette convention héroïque afin de gagner encore en maturité dans son propos.
On le savait avant d'entrer dans la salle, cette émancipation passerait par l'abandon du monde des dragons de la part des vikings. Une façon de retourner à la fin qu'avait choisie Miyazaki pour son Princesse Mononoke : l'Homme et la Nature ne peuvent vivre en parfaite harmonie, et réaliser ce fait signifie abandonner une partie de soi. Plus spécifiquement, abandonner la partie de soi qui a permis à Harold de façonner le monde selon son bon vouloir, cette volonté hollywoodienne qui permet tout. En bref, tout l'enjeu pour le personnage dans Dragons 3 sera de devenir adulte définitivement en arrêtant de lutter contre un destin qui parait inévitable, donnant au film un tragique qui contamine chaque scène. Car là où les épisodes précédents proposaient par les scènes de vol des respirations bienvenues, ici ces scènes perdent leur légèreté pour le spectateur, la Light Fury incarnant la menace insidieuse de l'antagoniste.
Dragons 3 est d'abord un nouveau changement d'échelle par rapport aux films précédents. Autant dans la forme, le village trouvant une ambition renouvelée en terme de développement grâce à la ressource dragons, que thématiquement : Harold cherchait sa place parmi son entourage dans le premier volet, dans le monde dans le deuxième, c'est désormais un conflit plus existentiel qui agite notre héros. En combattant Grimmel et son parcours miroir au sien, Harold continue de repousser le destin prévu pour lui par l'univers qu'il évitait in extremis dans le premier volet, une vie viking demandant à enfouir cet instinct empathique pour devenir un tueur de dragon. Et vu le traitement du film sur les différents personnages, autant dire tueur de rêve.
Les dragons ont toujours représenté pour Harold un désir de liberté. À ce titre, l'envie d'éteindre la race des Furies Nocturnes de Grimmel fait écho à son caractère manipulateur poussant les personnages à des décisions révélant l'illusion du libre arbitre, et de ce fait incarne l'antagoniste logique de cette conclusion. Sa manipulation se voit principalement par la Light Fury, poussant Krokmou à abandonner son rôle de chef pour pleinement embrasser ses pulsions. Le film prendra cependant un chemin contraire pour décrire la vie de couple : en acceptant le mariage, Harold ne prend plus la contrainte du déroulement logique d'une vie comme un danger pour sa liberté, mais comme une façon de s'inscrire dans un cycle naturel, trouvant ainsi sa place dans l'univers.
Harold n'a jamais été aussi déchiré entre sa réalité et le monde des dragons. Lui et Astrid posent le même regard émerveillé que le spectateur sur ce Monde Caché sensé se trouver au-delà de l'horizon, comme une illusion utopique dont on ne pourrait s'empêcher de ressentir l'appel. Un univers qui nous demande de le rejoindre sans que jamais nous ne puissions y parvenir totalement. C'est cette impossibilité d'être pleinement immergé dans ce monde qui impose à Harold et à nous spectateur d'abandonner Krokmou et la trilogie Dragons. Abandonner une impression de liberté partagée par le héros et son public lors des scènes de vol, afin de ne pas perdre de vue la réalité qui nous attend une fois le film terminé.
Une envie d'être en phase avec le réel, et pourtant Dragons 3 refuse de gommer ce qui flattait le spectateur dans les premiers films en l'assumant jusqu'au bout : l'aspect mythologique des dragons en fin de métrage fait écho aux films qui bercent l'imaginaire, non pas pour le développer jusqu'à obscurcir l'esprit, mais plutôt pour nourrir la réalité d'une magie inspirante. Le film assume sa position jusque dans ses derniers mots, laissant le spectateur avec l'idée que l'osmose entre industrialisation humaine et nature des dragons sera un jour possible. Plus qu'un réel désir à assouvir, ici le concept l'emporte face à sa concrétisation, toujours décrit comme une utopie inaccessible. Le lâcher prise qui conclue le parcours de Harold devient celui du spectateur acceptant de se souvenir de cet appel de liberté sans faire une fin en soi de ce but hors d'atteinte. Plus qu'un discours sur le monde, la trilogie Dragons se révèle être un commentaire émotionnellement puissant sur un cinéma capable d'inspirer des mondes extraordinaires sans pour autant empoisonner l'esprit de fantasmes à jamais hors de portée.
Avec cette conclusion, Dean DeBlois s'émancipe de l'influence de Miyazaki tout en affirmant son héritage en réalisant un film grand public dans le sens noble du terme : une histoire qui parlera de façon pertinente aux personnes de tous âges. La qualité de l'animation (des paysages à couper le souffle, des décors splendides qui baignent dans une lumière magnifique mettant en valeur les textures à l'illusion parfaite), la mise en scène (très efficace, avec un nombre de plans iconiques impressionnant, sans compter les scènes de vol bluffantes), le sound-design et le character-design (les dragons, évidemment), la musique (magistrale de bout en bout), et le rythme (maîtrisé à la perfection), achèveront de faire de Dragons 3 un des grands divertissements de cette fin de décennie. Et installant du même coup la trilogie comme la grande saga de ces dix dernières années.
Dragons 1
Dragons 2