En à peine trois ans, Ben Wheatley est devenu l’un des cinéastes contemporains les plus azimutés et les plus intrigants du moment. Si on a le droit de gentiment zapper son premier film, Down terrace (variation mineure sur une famille de mafieux en plein règlement de comptes), ce sont véritablement les incroyables Kill list et Touristes (tous les deux sortis en 2012) qui ont fait de Wheatley, gros poupon jovial et tranquille, un réalisateur hors norme, à suivre bien évidemment. Mais voilà que ce Field in England (étrangement retitré English revolution en France) vient quelque peu saper la belle réputation du bonhomme.
Pas en termes de mise en scène et du sens du bizarre (pour ça, Wheatley est toujours aussi doué, et il faut surtout blâmer la construction du scénario d’Amy Jump, sa compagne), mais plutôt de rythme décousu, de désordre insistant, même si le mélange des genres ici à l’œuvre ne vient jamais entraver la logique du projet. Le pitch, pas vraiment accrocheur (du moins pour le commun des mortels), a pourtant quelque chose de gonflé et de fascinant : en pleine première révolution anglaise (constamment ramenée au hors-champ, à un prétexte), cinq hommes errent dans un champ entouré de champignons hallucinogènes à la recherche d’un hypothétique trésor.
Sauf que cette chasse au trésor tourne vite au trip expérimental (avec, en apothéose, une séquence de transe en plans stroboscopiques absolument prodigieuse) et à l’observation hallucinée de l’Homme face à ses tourments, ses vanités et sa soif de liberté dans une réalité à sang qui finit par se replier sur elle-même, littéralement. Est-ce là une traversée du miroir, celle si chère à Lewis Carroll (le miroir brisé en deux) ? Une ouverture sur l’Enfer (le trou creusé profond dans la terre) ? Une quête spirituelle (mort, résurrection, sublimation) ? Un cauchemar diurne (il ne fait jamais nuit) ? Le déchaînement soudain de forces occultes (la nébuleuse noire qui se forme dans le ciel) ?
À l’instar des personnages, le spectateur avance vers l’inconnu au cœur d’un cercle circonscrit (le champ et ses alentours, extensions physiques du monde et de l’inframonde), et on pourra y déceler, y comprendre à peu près tout ce que l’on veut tant le film s’égare (se complaît ?) dans des méandres ésotériques qui finissent par s’emmêler, se télescoper et s’annihiler, contrairement à Kill list qui, lui, parvenait à transcender la vision d’un couple en crise par une espèce de paganisme réinventé (et cohérent). Après une mise en place un poil laborieuse que Wheatley a bien du mal à rendre intéressante, celui-ci enchaîne méthodiquement scènes de bavardages (ennuyeuses, même si parfois drôles) avec scènes brillamment étranges (le poteau avec la corde, les tableaux vivants, les cris dans la tente, la fusillade finale…).
Scènes qui peinent à s’agréger entre elles, à s’égaliser, d’où une cadence déglinguée plus monotone qu’emballante, mais faisant la part belle à une vraie recherche de l’expérience. Cette lutte d’influence entre un astrologue et un alchimiste (avec, à l’arbitrage, soldat et déserteurs) ressemble finalement à un long épisode de Tales of unexpected (Bizarre, bizarre pour les quarantenaires nostalgiques qui, gamins au début des années 80, frémirent de peur et de plaisir aux notes de son inoubliable générique) qui aurait croisé la route de Gaspar Noé, d’Alejandro Jodorowsky et d’un land artist sous LSD. Reste un morceau de cinéma atypique et magistral (noir et blanc superbe, bande sonore travaillée, plans hyper maîtrisés) sachant déployer assez d’audaces et d’étonnements pour faire la nique aux mornes productions actuelles.
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