Dans un village désert en bord de mer, de jeunes enfants mènent une existence coupée du monde, accompagnés de leur mères qui disparaissent à la nuit tombée...


Paradoxe du film insoluble : l'envie d'y plaquer des mots est irrépressible, pourtant on craint d'en briser le charme à la moindre virgule mal placée. La légende veut que les personnes aimant de toutes leurs tripes un film crypté soient les seules à en posséder la clé, or il suffit souvent de discuter avec elles pour comprendre qu'il n'en est rien, et que le mystère demeure entier. Dans le cas d'Évolution, la différence entre la compréhension d'une intrigue et l'acceptation de ses zones d'ombres est une donnée vitale pour ne pas se priver de l'expérience.


Peu importe, en soi, que le film se contente d'esquisser les contours d'un univers étrange : il ne lui en faut pas davantage pour poser les bases d'un trip radical, presque exclusivement sensoriel, et donc sujet aux malentendus. Bon courage à ceux qui voudraient le faire rentrer dans une grille de lecture infaillible, tant le dernier long-métrage de Lucile Hadzihalilovic est fuyant par essence. On pourra toujours y lire une facilité d'auteur un peu pédante, et arguer que les œuvres laissées à l'interprétation du public masquent trop souvent un manque d'imagination.


Ne mentons pas sur la marchandise, Évolution a beaucoup d'imagination à revendre mais il la place dans une zone sans contours et sans barrières, si ce n'est celle de son décor solaire coupé du monde. Plus la cinéaste intègre ses comédiens dans un espace ouvert aux quatre vents, et plus le spectateur a pourtant la sensation d'être enfermé dans une autre dimension, sans échappatoire. Anxiogène au possible, Évolution tisse des liens avec Innocence, précédent long-métrage de la cinéaste où l'action se situait dans un étrange pensionnat pour fillettes planté en pleine forêt.


Pourtant, nul besoin d'aller chercher dans Innocence un quelconque indice pour éclaircir Évolution. Les deux films fonctionnent sur une narration évasive, limite impressionniste, et observent quelques aspects d'un monde étranger sans visiter ses coulisses. D'ailleurs, le fait que la partie adulte du casting soit exclusivement féminine et les enfants interprétés par des garçons semble anecdotique tant le constat forme une clé trop épaisse, trop évidente, pour percer à jour le long-métrage. Logique, Évolution exigeant de son public une confiance absolue en l'imagerie organique qu'il déploie.


Moins qu'un film narratif, Évolution tente d'être une forme impassible de cinéma horrifique. Peu de mots, des images qui ont le temps d'exister, plus un travail sonore qui donne une présence rare aux environnements. Reconnaissons-le, le résultat s'adresse aux amoureux et amoureuses de l'incertitude et de l'attente. Le suspense tel qu'on l'entend serait ici un élément perturbateur, assez pour rendre l'ensemble hétérogène, et ainsi l'éloigner de sa précieuse spécificité : film calme et imprévisible, Évolution se révèle par détails, comme cette mixture dont se nourrissent les gosses.


Allergique aux cris, à la destruction et à tout événement bruyant, Lucile Hadzihalilovic bâtit un plan après l'autre un microcosme où enfants, adultes, roche et eau forment l'essentiel de l'écosystème. En réduisant au minimum l'aspect de ce village sans nom, la réalisatrice touche du doigt le même sentiment d'angoisse qui habitait Les Révoltés de l'an 2000 (¿Quién puede matar a a un niño?), film de 1975 où un couple de touristes se heurtait à un groupe d'enfants, seuls habitants d'une île étrangement déserte au large des côtes espagnoles.


Séance d'hypnose dont les mécanismes temporels influent sans mot dire sur les rituels quotidiens (lever, repas, sorties, coucher...), Évolution est une errance diurne autant que nocturne presque dépourvue d'accélérations. Un choix qui décuple l'impact de ses instantanés horrifiques et dont certains, avec leurs tenues hospitalières et leurs décors humides, évoquent directement les monstruosités du jeu Silent Hill 2. C'est dire si on tient là le meilleur travail de la cinéaste, voyage au centre d'une peur aussi belle, dangereuse et attractive qu'un chant de sirène.


Bien entendu, difficile d'avoir un avis définitif sur l'objet après une seule séance mais si le charme venait à se dissiper lors du revisionnage, parions qu'il subsiterait encore le souvenir de sa découverte. Le même qui reste persiste au fil des ans lorsqu'on découvre ses premiers films d'horreur ou ses premièrs romans fantastiques, sûrs d'avoir arpenté un territoire interdit.


Note : pour les plus curieux-ses, j'avais participé à un entretien collectif de la réalisatrice en début d'année, lors de sa venue au festival Hallucinations Collectives : https://lc.cx/4yYK

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le 29 oct. 2016

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Fritz_the_Cat

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